Stephen Harper n'a pas subi seulement une grande défaite, cette semaine, il en a subi deux. D'abord, la vague orange en Alberta. Mais ensuite, toujours en Alberta, la décision de la Cour d'appel de cette province de libérer Omar Khadr sous caution, malgré les efforts acharnés du gouvernement pour qu'il reste en prison.

C'est une défaite dévastatrice pour le gouvernement conservateur, car elle met en relief les aspects franchement odieux de son conservatisme, sa mesquinerie idéologique et sa conception primitive de la sécurité.

Déçu de la décision, le ministre fédéral de la Sécurité publique, Steven Blaney, au nom de son gouvernement, a maintenu le cap, parlant de « meurtre » et de « crime odieux » : « La décision rendue aujourd'hui nous déçoit et nous regrettons qu'un terroriste reconnu coupable puisse réintégrer la société canadienne sans avoir purgé toute sa peine. »

L'histoire d'Omar Khadr nous montre plutôt que c'est cette lecture simpliste qui est odieuse.

Omar Khadr est le cadet d'une famille torontoise d'islamistes fanatiques. Son père, un proche d'Oussama ben Laden, a amené plusieurs fois ses fils dans les camps d'Al-Qaïda. C'est ainsi qu'Omar Khadr, à 15 ans, s'est retrouvé en Afghanistan dans une escarmouche avec des militaires américains dont il a été le seul survivant. On l'accuse d'avoir lancé une grenade qui a tué un soldat américain. Blessé, il s'est retrouvé au camp d'internement américain de Guantánamo en 2002, toujours à 15 ans, où il a subi des traitements que les pays civilisés, dont nous faisons en principe toujours partie, qualifient de torture.

Son parcours - père dominateur, endoctrinement, son âge au moment des événements - correspond parfaitement à la définition type de l'enfant-soldat. Les conventions internationales, auxquelles le Canada adhère, les définissent comme des victimes plutôt que comme des coupables.

En outre, sur le plan du droit, l'accusation de meurtre est fragile. Les affrontements auxquels Omar Khadr a été mêlé ne sont pas du terrorisme dans le sens habituel - pas de bombes qui tuent des innocents - , mais un contexte de combat armé entre talibans et leurs alliés et les Américains et leurs alliés. Si on parle de meurtre dans un tel cas, c'est que l'administration Bush a réécrit le droit en inventant un nouveau concept, celui de « combattants ennemis », si fragile qu'il a fallu interner ces combattants ennemis dans une enclave extraterritoriale pour qu'ils échappent au droit américain. C'est d'ailleurs à Guantánamo, devant une commission militaire, qu'Omar Khadr a plaidé coupable, dans un « deal » où son aveu lui permettait d'aller purger une peine de huit ans au Canada plutôt que de 40 aux États-Unis.

J'ai écrit sur ce sujet plusieurs fois, toujours avec le même sentiment d'indignation. Certains lecteurs m'ont reproché de défendre un terroriste. Je défendais plutôt les principes de droit d'un État civilisé, sachant qu'un tribunal canadien aurait très probablement innocenté Omar Khadr.

Le gouvernement canadien, lui, s'est acharné. Il a laissé ce jeune Canadien croupir à Guantánamo, se faisant complice des traitements qu'il y a subis. Il a refusé de le rapatrier, ce que tous les pays occidentaux avaient fait pour leurs ressortissants. Il s'est battu jusqu'en Cour suprême contre les tribunaux canadiens qui lui enjoignaient de rapatrier le détenu. Et il continue son combat pour qu'Omar Khadr n'ait pas droit à une libération sous caution assortie d'importantes conditions.

Derrière cet acharnement, l'on voit à l'oeuvre une conception de la justice vengeresse, mais aussi un calcul : que chaque année d'internement d'Omar Khadr à Guantánamo et que chaque année de prison au Canada sont politiquement rentables. Avec sa ligne dure, le gouvernement Harper illustre sa fermeté quant au terrorisme, même si dans les faits, le cheminement de ce jeune homme montre que sa détention n'a rien à voir avec la sécurité nationale.

Ce qu'on peut souhaiter, c'est un effet boomerang, où le calcul politique du premier ministre Harper se retourne contre lui, et que les « rednecks » réjouis par son acharnement soient moins nombreux que les démocrates qui en sont dégoûtés.