Il y a un pan entier du monde de la santé qui a été épargné par les réformes, les réorganisations et les mesures musclées: le ministère lui-même. Et pourtant, s'il y a un endroit où un grand nettoyage du printemps ferait le plus grand bien, c'est là.

Ce week-end, on a eu une autre preuve que tout ne tourne pas rond au ministère de la Santé et des Services sociaux. Dans ce qui est le plus récent chapitre de la saga de la clinique RocklandMD, une étude du ministère, que celui-ci gardait secrète mais que La Presse a obtenue, démontre noir sur blanc que sa volonté de mettre fin à l'entente entre la clinique privée et l'hôpital du Sacré-Coeur ne reposait sur aucune base rationnelle.

Rappelons que cette entente datant de 2008, alors que Philippe Couillard était ministre de la Santé, était un projet-pilote où les chirurgiens de l'hôpital effectuaient leurs chirurgies d'un jour dans les installations de cette clinique pour réduire leurs listes d'attente.

L'hôpital était facturé pour les salles, les équipements et le personnel. Les chirurgiens étaient payés par l'État, et le tout était gratuit pour les patients. Ce n'est pas de la privatisation, ni même un PPP. La clinique n'est rien d'autre qu'un fournisseur. Et le modèle respecte scrupuleusement les principes de justice et de gratuité de notre système de santé.

Mais après le départ de M. Couillard, le Ministère et les ministres successifs - Yves Bolduc, Réjean Hébert et Gaétan Barrette - ont tous voulu mettre fin à cette entente dans ce qui ressemble à de l'acharnement. J'en ai parlé souvent parce qu'à mon avis, ce dossier a valeur de symbole pour illustrer ce qui ne va pas dans notre système de santé.

L'étude, en fait un rapport de vérification de huit pages, confirme ce qu'on savait déjà. Ces chirurgies coûtent moins cher à RocklandMD qu'à Sacré-Coeur, soit 2630$ contre 2754$. L'écart de 124$ est mineur, mais il fait voler en éclats le principal argument du ministère. Chose beaucoup plus significative, l'étude conclut que l'hôpital serait incapable d'effectuer toutes les 1500 chirurgies réalisées dans la clinique, et donc que la commande du Ministère, rapatrier toutes ces activités à l'hôpital, provoquerait un étranglement et un allongement des attentes.

Ces conclusions étaient prévisibles. Comment se fait-il donc que le Ministère, année après année, et ministre après ministre, ait tout fait pour fermer la clinique? Difficile d'y voir autre chose que le dogmatisme de bureaucrates envers le privé et une aversion primaire pour les activités qui sortent du périmètre de leur royaume.

Le rapport permet d'arriver à une autre conclusion encore plus choquante. Le service prodigué aux patients est franchement supérieur à RocklandMD qu'au centre hospitalier. Parce que les installations de Sacré-Coeur sont vétustes et pas adaptées aux chirurgies d'un jour et surtout parce que le taux d'annulation des chirurgies à l'hôpital est très élevé: 12% contre 2% pour la clinique. Les annulations ne sont pas seulement des statistiques. Derrière les chiffres, ce sont des inconvénients majeurs, sinon des drames humains. On pourrait ajouter d'autres arguments, comme les risques d'infections nosocomiales à l'hôpital.

Bref, la bataille du Ministère visait à défendre une conception du système de santé plutôt que la qualité des soins et le bien-être des patients.

Au final, ce rapport semble indiquer que le projet-pilote a été concluant. Et si tel est le cas, la logique voudrait non seulement que l'on poursuive l'expérience RocklandMD, mais encore qu'on la reproduise. Si cela permet de réduire les listes d'attente à bon coût, il faudrait encourager d'autres ententes de sous-traitance. En plus, s'il y a plusieurs acteurs, et pas seulement RocklandMD, il y aurait de la concurrence et sans doute une baisse des coûts.