Le Plan Nord, peu importe sa version, c'est trois choses. Une stratégie de développement économique axé sur l'exploitation des ressources naturelles. Une opération politique pour mettre de l'avant une idée capable de susciter un certain élan. Et un projet social, soit la réappropriation par le Sud de l'énorme territoire nordique qu'il a boudé jusqu'ici. C'est ce volet, carrément identitaire, qui est le plus audacieux et le plus difficile à réaliser.

Presque les trois quarts du territoire québécois, 1,2 million de kilomètres carrés, sont dans la zone sur laquelle porte le Plan Nord, au-delà du 49e parallèle, une ligne qui, en gros, va de Baie-Comeau à Lebel-sur-Quévillon. Dans ce territoire immense, il n'y a que 120 000 habitants, soit 1,5% de la population québécoise, dont 33 000 autochtones.

Ce territoire, nous n'y vivons pas, nous ne l'occupons pas vraiment, nous ne nous y intéressons pas, et fondamentalement, nous ne l'aimons pas. C'est comme si le Québec était coupé en deux. Le Québec «normal», celui du Sud, et le Québec du Nord, une terre lointaine, inaccessible, qu'on a laissée aux autochtones et au développement des ressources naturelles.

Ce refus du Nord n'est pas nouveau. On l'observe dès le début du peuplement européen, qui s'est concentré là où l'agriculture était possible, le long de la vallée du Saint-Laurent. Les incursions vers le nord ont été tardives - le Saguenay-Lac-Saint-Jean entre 1850 et 1870, les Laurentides à la fin du XIXe siècle, l'Abitibi au début du XXe et la Côte-Nord encore plus tard - et elles ont été timides. Nous ne nous sommes pas aventurés très haut.

Le seul rapport que, collectivement, les Québécois entretiennent avec ce Nord, c'est un rapport de possession. Le Nord n'est peut-être pas «chez nous», mais il est «à nous». On ne s'y intéresse que de façon utilitaire et ponctuelle, quand on a besoin de ses ressources - la Manic, la Baie-James, quelques projets miniers - ou quand les autochtones veulent affirmer leur juridiction.

Le premier ministre Jean Charest, quand il a lancé son Plan Nord, avait tenté de changer les choses en jouant sur le registre identitaire. «Et c'est chez nous, c'est au Québec. Non seulement c'est chez nous, c'est en nous», avait-il déclaré. C'était tombé complètement tombé à plat. Dans la version 2.0 du projet, le premier ministre Philippe Couillard, en insistant sur le volet social, pourra peut-être tisser de meilleurs liens.

Mais d'autres éléments de ce plan peuvent aussi réduire la fracture nord-sud, notamment les investissements dans les infrastructures routières qui permettront de désenclaver cette région inaccessible. Le financement de ces routes par l'État est évidemment chaudement dénoncé par la gauche, par exemple Amir Khadir, qui dénonce ce qu'il décrit comme un cadeau aux minières sans se rendre compte de l'ignorance et du mépris envers les gens du Nord qu'il véhicule. Les axes de transport ont toujours été un élément essentiel du développement humain d'un territoire. Et dans ce cas-ci, elles ouvrent davantage le Nord aux citoyens du Sud, et elles brisent l'isolement.

Dans ce mépris facile, la gauche, surtout montréalaise, dénonce également l'activité minière, en oubliant qu'elle a aussi une dimension humaine, si l'on croit que la création d'emplois a une certaine pertinence pour assurer la dignité et la sécurité matérielle. C'est à peu près la seule activité économique possible dans ces zones, où il n'y a pas d'agriculture, d'exploitation forestière, de vie urbaine, d'activité industrielle. Dire non aux mines, c'est une façon de fermer le Nord à tout jamais et condamner ceux qui y subsistent à l'étranglement, notamment les autochtones.

Quand on parle du Plan Nord, on insiste surtout sur les milliards d'investissements que l'on prévoit - ou que l'on espère. Mais on oublie qu'il s'agit aussi d'une occasion unique de développer harmonieusement ce territoire, tant sur les plans social et environnemental qu'économique, et en même temps de briser le mur de l'indifférence que manifeste la population du Sud à l'égard des trois-quarts du Québec.