Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a proposé cette semaine une stratégie pour contrer l'intégrisme religieux qui consisterait à modifier la Charte des droits et libertés pour interdire d'enseigner ou de prêcher des idées qui «encouragent le déni des valeurs québécoises».

Avant de parler du fond, un mot sur la forme. M. Legault est intervenu dans ce débat avec sobriété, sans jouer sur les cordes émotives, comme le fait par exemple l'ex-ministre Bernard Drainville, le père de la charte des valeurs québécoises. Avec cette initiative, comme dans plusieurs autres dossiers, le chef de la CAQ tente de redéfinir le rôle d'un parti de l'opposition en voulant mettre sur la table des propositions constructives.

Mais malgré son ton posé, le projet de M. Legault ne tient pas la route. Il est même beaucoup plus radical que la charte des valeurs du gouvernement Marois. Il s'attaque à la liberté d'expression et à la liberté religieuse d'une façon qu'on ne retrouve, à ma connaissance, nulle part ailleurs dans les sociétés avancées.

Cela s'explique par un vice de fond, par la prémisse sur laquelle repose la démarche de M. Legault, qui a décrit à plusieurs reprises le débat sur l'intégrisme religieux comme une question identitaire. L'intégrisme n'est pas un enjeu identitaire. D'abord parce que le principal enjeu mis en relief par l'attentat à Charlie Hebdo porte plutôt sur la sécurité. Mais surtout parce qu'il n'y a aucune spécificité québécoise dans ce dossier. L'intégrisme, et surtout les dérives auxquelles il peut mener, menace de la même façon toutes les sociétés démocratiques.

«Nous avons ici, au Québec, des valeurs communes dont nous sommes très fiers, des valeurs importantes, fondamentales, comme l'égalité entre les hommes et les femmes, comme la liberté de vivre sans discrimination à l'égard de l'orientation sexuelle, comme la démocratie. Nous avons le devoir de protéger ces valeurs fondamentales du Québec», a déclaré M. Legault lors de la présentation de son projet.

Ce ne sont pas des valeurs québécoises. Ce sont des valeurs universelles, défendues avec énergie par l'ONU et toutes les sociétés avancées. Le fait de les décrire comme «québécoises» n'est pas anodin. Il mène à des glissements que j'ai analysés dans mon plus récent essai, Portrait de famille: 14 vrais ou faux mythes québécois.

D'une part, cela semble signifier que le Québec se distinguerait d'une façon particulière pour l'égalité, la démocratie ou la liberté sexuelle, ce qui n'est pas le cas. D'autre part, cela a pour effet de faire porter le débat sur le mauvais terrain. Au Québec, l'identité fait surtout référence aux différences culturelles et linguistiques que nous voulons protéger; elle est aussi colorée par un sentiment d'insécurité.

Le fait de plaquer cette grille, qui est celle de la peur de disparaître, à un dossier comme l'intégrisme - même si l'intégrisme, aussi insupportable soit-il, ne menace ni le mode de vie, ni les institutions, ni la langue majoritaire des Québécois - mène à surréagir.

Dans toutes les démocraties avancées, on cherche à maintenir un équilibre entre la lutte aux dérives intégristes et les libertés religieuse et d'expression. Dans tous ces pays, on reconnaît le droit des citoyens d'exprimer leurs convictions, même si elles semblent odieuses, tant que cela n'incite pas à la haine et à la violence. C'est ce grand principe que rompt allègrement la proposition caquiste.

En outre, ce projet n'est pas gérable: quelles sont les valeurs québécoises, quand y a-t-il déni, quoi enseigner? Ça ratisse tellement large qu'en toute logique, cela menace les hassidiques pour les femmes, l'église catholique pour les gais, les monarchistes ou les marxistes-léninistes pour la démocratie, ou encore le Tea Party américain. Cela ne résisterait pas au test de la Charte canadienne ni à celui des cours internationales. Cela ne passerait dans aucun pays civilisé. Drôle façon d'affirmer l'identité québécoise.