Peut-on tourner le dos à la croissance économique, changer de modèle et imaginer un système qui repose surtout sur une décroissance voulue et planifiée?

C'est cette idée que La Presse Affaires a exploré dans un très intéressant dossier en trois volets, publié de vendredi à dimanche. Il est vrai que la croissance a un coût, des impacts environnementaux, et qu'elle mène à des abus, comme la surconsommation ou les stratégies suicidaires d'entreprises obsédées par leur chiffre d'affaires.

La thèse de la décroissance n'est pas inutile. Elle force à réfléchir, elle met en relief les dérives du système actuel, mais elle ne constitue pas pour autant une solution, du moins à court terme.

Il n'est bien sûr pas étonnant que quelqu'un qui a écrit un livre s'intitulant Éloge de la richesse se fasse l'apôtre de la croissance. Mais justement, je ne faisais pas l'éloge de la croissance à tout prix, de la croissance comme but en soi, mais un éloge de la croissance comme outil pour faire autre chose.

Le progrès économique reste encore le principal moteur du progrès social. Il y a des dérives à corriger. Cela peut mener, comme le décrit le dossier de La Presse, à consommer et à vivre autrement. Mais le choix de la simplicité volontaire, admirable au plan individuel, ne s'applique pas si bien au niveau collectif.

Un professeur des HEC, Yves-Marie Abraham, cité dans ce dossier, tenant de la décroissance, affirme que «ce modèle de croissance à tout prix arrive à ses limites». Mais on peut noter qu'on s'éloigne déjà du modèle de croissance «à tout prix», notamment avec un virage majeur de la pensée économique qui consiste à ne plus mesurer le succès uniquement avec la croissance du PIB. C'est l'essence même de l'indice Vivre mieux de l'OCDE, qui repose sur un ensemble d'indices économiques et sociaux.

Quelque chose m'a en outre chicoté dans le raisonnement de M. Abraham. «À partir d'un certain niveau de PIB, il n'y a plus de corrélation entre le bien-être et la croissance économique», dit-il, prenant pour exemple le Québec, qui se classe très bien dans cet indice de l'OCDE même si son PIB par habitant est relativement peu élevé. Tout indique que ce succès québécois est en grande partie un sous-produit du succès canadien, et que les autres grandes provinces canadiennes se retrouveraient elles aussi en haut de ce classement.

Au contraire, la corrélation semble très nette. Tous les pays en tête dans cet indice Vivre mieux sont sans exception des pays à très haut niveau de vie, c'est-à-dire avec un PIB par habitant élevé: Australie, Norvège, Suède, Danemark, Canada, Suisse, États-Unis, Finlande, Pays-Bas, etc.

Cela s'explique par une raison simple, le fait que plusieurs déterminants du bien-être exigent des dépenses importantes, qu'elles soient individuelles ou collectives: qualité de l'éducation, santé, justice sociale, sécurité, logement. Peut-on tourner le dos à la croissance tant que ces besoins n'auront pas été pleinement comblés? Tant qu'il y aura du chômage, de la pauvreté, des besoins en santé et des clientèles négligées, comme les personnes âgées, il sera difficile de se passer de croissance.

C'est encore plus vrai pour les économies émergentes où c'est la croissance qui permet d'assurer les besoins de base - manger, se loger, ne pas mourir en bas âge.

L'expérience du passé a montré que notre modèle économique, quand il arrive a une impasse, réussit à se redéfinir. Il vaut mieux miser sur ces transformations, aussi imparfaites soient-elles. Je ne crois pas que la solution pour endiguer les excès et les dommages collatéraux de la croissance soit de faire le choix de la non-croissance. Pas plus que le jeûne est une réponse à l'obésité.