Plus de la moitié des familles qui reçoivent de l'aide sociale, 54,2%, n'envoient pas leurs petits dans les services de garde subventionnés, selon des données de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ). Elles mettent en relief une importante distorsion dans le programme des garderies qui profite très largement aux familles aisées et beaucoup moins aux milieux défavorisés.

C'est une véritable catastrophe sociale, car ce sont ces enfants défavorisés qui auraient le plus besoin de garderies pour leur développement.

Ces statistiques montrent aussi qu'il ne s'agit pas, hélas, d'un programme universel. L'universalité fait référence à un programme où l'ensemble de la population a droit au même service selon des modalités uniformes. Elle comporte donc deux volets, un accès égal et des conditions égales. Le débat récent au Québec, mené par les courants de gauche, portait exclusivement sur le volet des modalités égales - des tarifs uniformes - en faisant abstraction de l'autre volet, pourtant bien plus fondamental, le droit aux services.

D'où le caractère surréaliste du débat, où Québec solidaire se retrouvait, en dénonçant la modulation des tarifs, à défendre les familles les plus riches. L'ex-première ministre Pauline Marois, la mère du régime, est allée le plus loin dans cette dérive. Dans une entrevue à La Presse, attristée par la réforme libérale, elle a dit: «S'il y avait une politique, à mon point de vue, qui permettrait une solidarité entre les classes, c'était celle-là».

Dans son esprit, la formule que proposait son gouvernement, 9$ par jour pour tous les parents, était plus solidaire que celle du gouvernement Couillard: 7,30$ pour la majorité et de 8$ à 20$ pour les plus riches, en fonction de leur revenu. Elle a involontairement donné un sens nouveau au concept de solidarité, où ce sont les moins fortunés qui améliorent le sort des mieux nantis.

Pendant que la gauche s'égare, je vais donc faire le travail qu'elle devrait faire. À sa création, le programme des garderies avait un double objectif, aider la conciliation travail-famille et augmenter la participation féminine au marché du travail, et lutter contre les inégalités sociales.

Les services de garde devaient donner aux enfants de milieux défavorisés accès à un environnement d'apprentissage qui pourrait compenser les carences du milieu familial. Bien des petits arrivent en effet à la maternelle sans n'avoir jamais tenu un crayon ou ouvert un livre. Il s'agit d'un pilier de la lutte contre la pauvreté, pour donner aux enfants défavorisés les outils pour poursuivre avec succès leur parcours scolaire et sortir du cercle vicieux.

Cet objectif n'a pas été atteint. Selon une enquête de l'ISQ portant sur 2009, moins les familles sont riches, moins elles utilisent régulièrement les services de garde subventionnés. 42,3% des enfants de familles dont le revenu familial est inférieur à 20 000$ ne sont pas confiés à ces services. La proportion baisse à 33,4% pour des revenus entre 20 000$ et 30 000$, pour tomber à 13,5% pour des revenus est supérieurs à 140 000$. Dans la même logique, 51,2% des enfants de parents sans diplôme secondaire ne sont pas confiés aux services de garde, une proportion qui tombe à 22,5% s'ils ont un diplôme universitaire.

Cet écart tient à une foule de facteurs. Un besoin moindre de faire garder ses enfants quand on ne travaille pas, les valeurs familiales des nouveaux immigrants. Mais aussi le fait qu'il y a moins de garderies dans les milieux défavorisés.

Ce sont des explications, pas des excuses. Une vraie politique sociale doit contrer la réticence et l'indifférence de certaines familles pour donner toutes les chances aux petits, notamment en accélérant l'implantation de CPE dans les milieux vulnérables. Cela n'a pas été assez fait. Au lieu de verser des larmes de crocodile sur les familles bien nanties, c'est là-dessus que l'on devrait concentrer nos énergies collectives, si l'on croit à la solidarité, la vraie.