La santé publique de Montréal a produit un mémoire la semaine dernière pour défendre l'idée que la rue Sainte-Catherine devrait être totalement piétonnière.

Cette intervention, comme plusieurs autres avant elle, soulève plusieurs questions. Jusqu'où les départements de santé publique (il y en a un par agence de santé) peuvent-ils aller quand ils interviennent dans des domaines qui ne relèvent pas strictement de la santé?

Avant d'aller plus loin, je voudrais souligner le rôle essentiel de la santé publique pour aller au-delà du cadre hospitalier et curatif du système de santé - santé mentale, gestion des épidémies, prévention, vieillissement de la population, effets de la pollution, modification des habitudes de vie ou encore pour tenir compte des déterminants sociaux de la santé, surtout la pauvreté.

Mais son champ d'intervention est vaste, si vaste que cela justifie des balises. D'abord pour éviter que les directions de santé publique (DSP) sortent de leur zone de connaissances et de compétences. Ensuite pour éviter que la santé publique utilise l'autorité morale du savoir médical dans des domaines qui ne relèvent pas directement des sciences de la santé. Enfin, pour imposer des limites très strictes aux formes d'intervention des DSP, pour éviter qu'ils quittent le domaine de l'analyse pour entrer sur le terrain du militantisme et de l'action sociale.

Dans le dossier de la rue Sainte-Catherine, la DSP de l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal applique une grille. Elle est en faveur d'une réduction de la circulation automobile, à cause de la pollution, des accidents, des désincitatifs à la marche, et donc appuie tout ce qui peut réduire le nombre d'autos. Ce qui l'amène à intervenir dans un dossier d'urbanisme complexe, sans être une autorité en la matière, pour écarter les quatre hypothèses de travail soumises au débat public et proposer une solution dure - une rue uniquement piétonnière - que, par exemple, Richard Bergeron rejette. C'est à la fois simpliste et arrogant.

Ce n'est pas la première fois. Il y a trois ans, le rapport annuel du directeur de la santé publique de Montréal portait sur les inégalités. Ce rapport, bien fait, brossait un portrait instructif des inégalités sociales et de leurs effets. Mais sa première recommandation était d'augmenter les barèmes d'aide sociale pour les personnes aptes au travail. Il outrepassait sérieusement son mandat. Ce n'est pas le rôle de la DSP de définir la forme que prendra la lutte à la pauvreté.

L'autre problème, quand la santé publique sort de ses champs de compétence, c'est qu'elle peut le faire de façon incomplète. On l'a vu il y a cinq ans avec son opposition au déménagement du Casino à Pointe-Saint-Charles. Il y avait un problème de santé: les méfaits du jeu et le risque que la proximité d'un quartier défavorisé attire une clientèle vulnérable. Mais l'analyse du DSP, assez vigoureuse pour tuer le projet, était incomplète, en oubliant de tenir compte des effets structurants pour le milieu de l'arrivée d'un employeur de qualité.

Les DSP ont également tendance à basculer dans l'action sociale et à perdre leur recul scientifique, ce qui semble être davantage le cas en région. C'est ce qui se produit sur la Côte-Nord dans le dossier de l'uranium - j'en ai déjà parlé - , où la santé publique locale a publié un rapport très négatif, qui ne reposait pas sur la science, mais plutôt sur une «démarche de participation citoyenne qui a permis d'obtenir une vision communautaire».

Il ne s'agit pas de jeter le bébé avec l'eau du bain. Mais de souhaiter un recentrage et de se demander ce que devraient être les missions de la santé publique. Il y a assez de groupes militants pour que les fonds publics destinés à la santé n'en subventionnent pas d'autres.