Dans le discours public, le pays qui incarne le bonheur, celui qui incarne l'harmonie et le progrès social, c'est le Danemark, assez pour qu'on le qualifie, notamment dans les médias français, de «pays des gens heureux».

Si le petit pays scandinave a eu droit à cette consécration, c'est parce qu'il se retrouve en tête d'un classement international, le World Happiness Report, publié dans le cadre d'une initiative de l'ONU sur le développement durable.

Il y a des choses que l'on sait moins. D'abord, qu'en 2012, le Canada était au deuxième rang de ce même classement international. Ensuite, qu'au Canada, où l'on réalise les mêmes enquêtes, le Québec est la province où le taux de bonheur est le plus élevé, assez pour obtenir exactement la même note que le Danemark, et se retrouver ainsi lui aussi en tête du classement international. Le pays des gens heureux, c'est également ici.

C'est la découverte la plus étonnante que j'ai faite dans la recherche pour le livre que je viens de publier, Portrait de famille, 14 vrais ou faux mythes québécois.

Mais ces données sont-elles fiables? Ce fameux classement international porte sur une définition subjective du bonheur. On demande aux gens s'ils sont satisfaits de leur vie et d'évaluer cette satisfaction sur une échelle de un à dix. Cette enquête, très sérieuse, est effectuée à l'échelle de la planète depuis des années par le World Gallup Poll. Statistique Canada fait la même chose pour les provinces. Les classements varient d'une année à l'autre, mais le Canada est toujours dans le top 5, et le Québec toujours au-dessus du Canada.

Satisfaction collective

On peut évidemment se demander si la définition que les gens donnent du bonheur varie d'une société à l'autre. Peut-être que les Québécois sont plus facilement satisfaits de leur sort que les Danois. Mais des chercheurs ont noté que le taux de bonheur a augmenté plus vite au Québec qu'ailleurs au Canada après la Révolution tranquille et en déduisent que le bonheur québécois comporte une composante de satisfaction collective.

Ces résultats subjectifs sont corroborés par des mesures plus formelles, où l'on analyse plutôt les éléments qui assurent le bien-être d'une société. C'est ce que fait l'Indicateur du Vivre mieux de l'OCDE qui évalue la performance des pays pour 24 éléments, comme l'éducation, le revenu, la santé, le logement, la sécurité ou la participation citoyenne.

Encore là, le Canada était deuxième en 2011, derrière l'Australie. Il a perdu quelques plumes depuis. Selon les données de 2014, il serait au cinquième rang, devancé par trois pays scandinaves - Norvège, Suède, Danemark - mais resterait dans le club des cinq.

Le Québec, en appliquant les mêmes critères, comme l'ont fait Luc Godbout et Marcelin Joanis dans la dernière édition du Québec économique du Cirano, fait aussi bien, sinon mieux que le Canada, malgré le fait qu'il se classe moins bien pour les indicateurs économiques. Là aussi, le Québec serait parmi les premiers du classement international. Il faut préciser qu'avec le même exercice, d'autres provinces se retrouveraient aussi en tête.

Ces données illustrent le succès relatif du modèle canadien et de sa déclinaison québécoise et peuvent expliquer le taux du bonheur. Elles jettent aussi un éclairage sur la façon dont évolue le débat sur les finances publiques québécoises, où l'on sent que les Québécois craignent que l'on compromette les éléments qui assurent leur bonheur et leur fierté.

Mais le modèle qui assure le bonheur des Québécois à grand renfort de politiques publiques n'est plus soutenable en raison de l'impasse financière. C'est un problème auquel les pays scandinaves ont été confrontés. Et comme ça a été le cas dans les pays scandinaves, le Québec a besoin d'un coup de barre pour rester heureux.