Le Canada a été secoué cette semaine par deux événements tragiques. Le meurtre d'un militaire à Saint-Jean, lundi, et le meurtre d'un autre militaire sur la colline parlementaire, mercredi. Ce sont des moments d'une grande tristesse, qui ont fait deux victimes innocentes, des soldats non armés, membres d'une institution qui, pour nous, incarne la liberté et non la violence.

Ces événements sont-ils pour autant signifiants? Marqueront-ils à jamais la psyché canadienne?  Nous avons eu tendance à les magnifier. On a parlé de perte de l'innocence pour le Canada, on a dit qu'il y aurait un Canada d'avant le 22 octobre et d'un Canada d'après le 22 octobre, on a lancé que les terroristes étaient parmi nous, on a multiplié les références au 11 septembre 2001.

Ce que ces incidents nous disent, c'est que le Canada, comme n'importe quel autre pays occidental, n'est pas à l'abri de l'islamisme radical. Pas seulement parce qu'il participe aux opérations contre les forces du groupe État islamique. Notre statut de nation occidentale, notre appui à Israël, notre proximité des États-Unis, notre rôle en Afghanistan suffisaient. S'il a fallu les meurtres de cette semaine pour que certaines personnes le réalisent, cela marque davantage la fin de l'ignorance que la perte de l'innocence.

Mais ce qu'on doit aussi constater, c'est que ce qui s'est passé mercredi à Ottawa n'a absolument rien à voir avec le 11 septembre 2001. Le Canada, un petit pays, relativement marginal sur l'échiquier mondial, a été victime d'une forme de terrorisme bien mineur. Le premier ministre Stephen Harper, dont la réaction a été digne et sobre, a quand même dit: «Nous ne nous laisserons pas intimider». Mais par qui? Mais par quoi?

D'après les informations encore incomplètes dont nous disposons, un loup solitaire, à Saint-Jean, en situation de déséquilibre psychologique, a trouvé une réponse dans l'islamisme radical et a décidé de passer à l'acte en attaquant un militaire. Un autre homme fragile, vraisemblablement inspiré par le premier, a frappé deux jours plus tard. Des initiatives improvisées, empreintes d'amateurisme, et qui, techniquement, peuvent répondre à la définition du terrorisme, mais qui n'ont rien à voir avec un complot international.

Rien n'indique que les auteurs de ces meurtres aient eu des liens avec des organisations terroristes ou que, à l'autre bout du monde, des barbus avaient choisi de s'attaquer au Canada. Les deux présumés meurtriers n'étaient pas non plus des musulmans qui avaient souffert dans leur pays d'origine. Ce sont des petits gars de chez nous, produits de notre système scolaire francophone, qui se sont convertis à l'islam et découvert dans sa version radicale un véhicule pour exprimer leurs démons.

Leurs gestes nous confrontent toutefois à un phénomène nouveau, celui de la radicalisation de jeunes musulmans vivant dans les pays industrialisés et, dans ces cas récents, la conversion de jeunes non-musulmans attirés par un discours simpliste et sanguinaire qui donne un sens à leur quête.

C'est un défi pour les agences de sécurité et de renseignement, confrontés à un problème qui relève du travail policier, mais aussi de l'intervention sociale et de la psychiatrie. Il faut prévenir cette radicalisation, pouvoir identifier ceux qui ont basculé - ce que l'on semble faire correctement, puisque les deux présumés assassins étaient dans le radar des forces policières. Mais notre grand défi, difficile dans une société de droit, et où nous avons manifestement failli, c'est de gérer et freiner ceux qui ont été identifiés comme étant à risque avant qu'ils ne frappent.

Ces événements nous rappellent que n'importe quel illuminé peut faire du mal. Nous ne sommes donc pas à l'abri des attaques d'un autre fou d'Allah. Mais cela ne justifie pas que nous cédions à la panique, parce que le degré de menace pour chacun de nous reste très limité.