Les systèmes démocratiques fonctionnent relativement bien en période de vaches grasses, quand la prospérité permet aux gouvernements de se faire généreux et de créer assez facilement des consensus. Le véritable test de la démocratie, ce sont les périodes vaches maigres, quand il faut dire non.

On le voit déjà. Dans un contexte d'austérité comme celui que nous connaissons, les grands principes de transparence et de franchise sont mis à mal. Et surtout, le système parlementaire à la britannique, comme le nôtre, devient un obstacle à la résolution des problèmes plutôt qu'une institution qui sert l'intérêt public.

On a bien vu, dans la dernière campagne électorale, qu'aucun des trois grands partis politiques provinciaux n'a vraiment préparé l'électorat à ce qui s'en venait. Le gouvernement péquiste a caché la gravité de la crise et refusé de révéler la nature du programme d'austérité qu'il envisageait. Les libéraux ont fait reposer leurs engagements sur les projections irréalistes du PQ, dont ils auraient dû se méfier, et donc sous-estimé grandement l'ampleur de la tâche. Les caquistes, plus réalistes, parlaient certes d'un contrôle nécessaire des dépenses, mais en proposant un plan de redressement administratif sans douleur qui perpétuait les illusions.

Bref, aucun de ces partis n'a présenté un programme qui se rapprochait de la réalité, de crainte de ne pas pouvoir l'emporter en disant toute la vérité. Cela crée un déficit démocratique dont le monde politique n'est pas le seul responsable, car il tient aussi au refus d'entendre des citoyens.

Mais une fois au pouvoir, comme le gouvernement péquiste l'avait fait deux ans plus tôt, le nouveau gouvernement libéral a placé son mandat sous le sceau de l'austérité, abandonnant du même coup un certain nombre de ses engagements. Et maintenant, sa réussite dépend de sa capacité à faire accepter les efforts qu'exigera l'assainissement des finances publiques.

Et quel sera le pire obstacle à se dresser sur son chemin? Les syndicats? Les étudiants? Non. Son pire adversaire, ce sera l'opposition à l'Assemblée nationale, qui servira de fédérateur et d'amplificateur à tous les mouvements d'opposition qui s'exprimeront.

Notre tradition parlementaire, similaire au droit contradictoire de nos tribunaux, veut que l'opposition s'oppose. En principe, cette opposition est loyale, elle surveille le gouvernement, le questionne, dénonce ses erreurs et ses abus. Ce mécanisme de surveillance ne fonctionne pas si mal en période de croissance, quand l'opposition reprochera le plus souvent au gouvernement de ne pas en faire assez.

Mais en période de décroissance, le mécanisme ne s'inverse pas. L'opposition ne proposera pas plus de compressions! Elle s'indignera des mesures impopulaires, amplifiera les rumeurs, se fera le porte-voix de tous ceux qui risquent d'être affectés par les mesures d'austérité. C'est ce que fait actuellement l'opposition officielle, celle du PQ. La CAQ a choisi le chemin beaucoup plus difficile de la critique constructive.

Faut-il rappeler que le cadre financier du gouvernement libéral est exactement le même que celui de ses prédécesseurs péquistes? Que les efforts pour revenir au déficit zéro reposeront en bonne partie sur les mêmes mesures? Que les péquistes, avec une belle symétrie, dénoncent des gestes du gouvernement libéral que les libéraux leur reprochaient il y a quelques mois, comme les coupures aux universités ou la hausse des tarifs de garderie?

C'est une sorte de théâtre, mais qui n'a rien de comique. L'opposition cherche évidemment à profiter du fait que le gouvernement doit poser des gestes impopulaires pour le rendre encore plus impopulaire dans l'espoir de le renverser.

Cela risque cependant de compromettre le succès d'un processus nécessaire et cela augmente très clairement les tensions sociales que peuvent créer des politiques d'austérité. Le débat parlementaire a ainsi des effets débilitants. Il devient une forme de sabotage institutionnel qui ne sert pas l'intérêt public.