Les nouvelles informations rendues publiques cette semaine sur le péage du futur pont Champlain ont soulevé un tollé et révélé l'existence d'une remarquable unanimité. Tout le monde, chose rare au Québec, est contre ce péage: le gouvernement Couillard, les partis d'opposition, le maire Coderre, les maires de banlieue.

Or, tout le monde a oublié une donnée pourtant incontournable de ce dossier. Le pont Champlain est un pont fédéral, c'est le gouvernement fédéral qui le construira et les travaux seront financés à 100% par des fonds fédéraux.

Il n'est pas déraisonnable que l'ordre de gouvernement qui paye l'ouvrage ait son mot à dire sur son mode de financement. Il n'est pas étonnant non plus qu'un gouvernement conservateur privilégie une formule qui assure l'autofinancement. N'oublions pas que l'idée d'un péage n'a rien d'hérétique. Les deux derniers ponts de la région montréalaise, ceux des autoroutes 25 et 30, exigent un péage. Et le milieu montréalais réfléchit depuis des années à imposer une forme de tarif sur les axes d'entrée de la métropole.

Cela ne donne toutefois pas tous les droits au gouvernement fédéral. En démocratie, il faut écouter et tenir compte du contexte. Il faut également que les décisions soient cohérentes et intelligentes. La formule défendue par le ministre responsable, Denis Lebel, n'est ni l'une ni l'autre. Imposer un péage seulement sur le pont Champlain serait inéquitable et provoquerait un véritable chaos.

Une étude commandée par Ottawa à la firme britannique Steer Davies Gleave, que le gouvernement fédéral avait voulu garder secrète mais dont Radio-Canada a récemment obtenu copie, estime que 30 000 véhicules choisiraient d'autres ponts pour éviter le péage, ce qui créerait un engorgement intolérable ailleurs, surtout sur le pont Victoria, qui verrait son volume augmenter de 35%, ainsi que Jacques-Cartier, de 15%.

Le directeur parlementaire du budget à Ottawa a par ailleurs publié une étude fouillée sur le montant nécessaire pour financer la construction du pont et son utilisation. Il estime que le péage devrait atteindre 2,60$ par passage si le pont coûte trois milliards et 3,90$ pour cinq milliards. Il s'agit d'un montant élevé, de 25$ à 40$ par semaine pour les usagers réguliers, et inéquitable parce qu'il repose sur le hasard de la géographie.

Au lieu de s'indigner, mieux vaut chercher une solution d'ensemble et une politique globale sur la façon de tarifer les entrées à Montréal, afin de mieux répartir les coûts et éviter une crise de circulation. On pourrait, par exemple, imposer des tarifs modulés et modestes sur tous les ponts.

Cette réflexion ne pourra pas avoir lieu tant que les acteurs provinciaux et municipaux continueront à faire la baboune. Jusqu'ici, le débat est d'une troublante immaturité, comme c'est souvent le cas dans les relations fédérales-provinciales. Ceux qui ne paieront rien font preuve d'une royale indifférence à l'égard des contraintes financières du gouvernement central.

C'est ce que le premier ministre Philippe Couillard a semblé préconiser en conférence de presse. «Ayons une conversation avec l'île de Montréal et les voisins sur l'enjeu régional de circulation et de congestion, et on verra les différentes solutions qui sont proposées, a-t-il déclaré. C'est trop tôt actuellement pour dire: on fait ceci ou cela. Je répète juste notre opposition à un péage strictement sur le pont Champlain.» Il a toutefois été rappelé à l'ordre par sa propre équipe qui s'est empressée de rappeler la ligne officielle, à savoir que le gouvernement est contre le péage.

Mais la perle revient à Stéphane Bergeron, ex-ministre péquiste de la Sécurité publique. «Alors, ce constat doit nous amener à nous poser une question: dans un Québec indépendant, là, entre vous, puis moi, puis la boîte à pain, là, est-ce qu'on aurait eu à vivre ce genre de conflit avec le gouvernement fédéral?» Sans doute pas. Mais il aurait fallu payer le pont. Oups.