Le gouvernement Couillard s'apprêterait à abandonner le tarif unique dans les garderies et à le moduler en fonction du revenu des parents. On peut déjà prévoir que ce projet, dont mes collègues Denis Lessard et Tommy Chouinard révélaient l'existence hier, provoquera une colossale levée de boucliers.

Cette mesure, relativement anodine, attaque de front un grand principe, celui de l'universalité, selon lequel tous les citoyens ont droit au même service au même prix. C'est l'un des fondements de la social-démocratie à la québécoise, un des piliers du modèle québécois, un symbole sacro-saint de nos belles valeurs de solidarité.

Mais c'est un symbole creux, hypocrite même, que la gauche défend avec passion, par réflexe conditionné, sans se rendre compte qu'elle fait preuve, dans ce dossier, d'incohérence idéologique. Parce qu'on peut facilement démontrer que le principe de l'universalité, en apparence noble, ne favorise pas la justice sociale.

L'essence même de l'universalité est de fournir les mêmes services ou le même niveau d'aide à tous, au même prix, ou gratuitement, comme en santé. Bref, tout le monde est traité de la même façon.

Ce principe a deux effets pervers. D'abord, le gros des fonds d'un programme profitera aux classes moyennes et supérieures, majoritaires dans notre société. Ensuite, l'universalité, par définition, ne mène pas à la redistribution. Puisque tout le monde est traité de la même façon, il n'y a pas de transfert des plus riches vers les plus pauvres.

Dans le cas précis des garderies, le gouvernement québécois, aux prises avec une crise financière, cherche à réduire le coût de ce régime qui lui coûte cher, 2,3 milliards, en augmentant la contribution des parents, actuellement à 363 millions. En abolissant le tarif unique, il épargne les plus pauvres parce que l'effort additionnel ne sera exigé que de ceux dont les revenus sont plus élevés. On voit mal en quoi cette idée devrait scandaliser des esprits de gauche.

Il y a plein de gens, au Québec, qui peuvent payer plus et qui savent qu'ils feront quand même une bonne affaire. En plus, le mécanisme envisagé, par récupération lors de la déclaration d'impôt, est neutre et évite de créer deux classes de garderies.

Pourquoi alors les mouvements de gauche veulent-ils défendre l'universalité avec autant d'ardeur? Parce que, dans le passé, l'application de ce principe a pu favoriser la justice sociale, comme en santé, où il a donné accès à des soins à des gens qui n'avaient pas les moyens de les payer. Mais aussi parce qu'ils voient l'universalité comme un rempart, une protection contre les menaces qui pèseraient selon eux sur les programmes sociaux.

Mais il est faux de croire que les batailles en faveur de l'universalité sont des batailles pour les démunis. Ce n'est pas le cas. Par exemple, le gel des droits de scolarité avait pour but de favoriser l'accès des moins bien nantis à l'université. Pourtant, les principaux bénéficiaires de la mesure sont les jeunes des classes moyennes et supérieures surreprésentés dans les universités. Même chose pour nos tarifs d'électricité: on les maintient à un niveau bas pour épargner les familles à faibles revenus, mais les principaux bénéficiaires sont les propriétaires de piscines chauffées.

C'est pareil pour les garderies. Ce sont les familles plus à l'aise, dont les deux parents travaillent, qui profitent le plus des services de garde à tarifs réduits, tant et si bien que les enfants de milieux plus modestes sont sous-représentés.

L'autre mission des garderies, celle de fournir aux enfants de milieux défavorisés un environnement d'apprentissage, a ainsi été négligée. S'il y a une vraie bataille de gauche, dans ce dossier, ce n'est pas de s'accrocher au tarif unique, mais de militer pour une plus grande pénétration des services de garde en milieu défavorisé.