Parfois, les écarts verbaux des politiciens sont plus que des gaffes. C'est le cas de la sortie du ministre de l'Éducation, Yves Bolduc, sur les bibliothèques scolaires. Il n'a pas commis une gaffe, il a proféré une véritable hérésie en disant, au sujet des compressions qui pourraient affecter les budgets d'acquisition des bibliothèques scolaires, qu'il «n'y a pas un enfant qui va mourir de ça et qui va s'empêcher de lire, parce qu'il existe déjà des livres».

C'est, au départ, un très mauvais diagnostic, parce qu'on peut montrer pourquoi il est important de bien garnir les bibliothèques scolaires. Mais surtout, M. Bolduc a traité avec grande légèreté un enjeu qui devrait être une des grandes priorités d'un ministre de l'Éducation, celui de la lecture et de la littératie.

Car si les jeunes Québécois ont de bons résultats scolaires, ce n'est pas le cas en lecture. Une enquête internationale auprès des élèves de 4e année du primaire, le Programme international de recherche en lecture scolaire (PIRLS), montre que les petits Québécois sont au 21e rang mondial et au 8e rang canadien pour leurs aptitudes en lecture. Ils se rattrapent un peu au secondaire, mais restent toujours derrière l'Ontario, la Colombie-Britannique et l'Alberta.

L'enquête du PIRLS identifie en outre les facteurs qui peuvent affecter ces résultats: les parents québécois s'adonnent moins à des activités liées à la lecture avec leurs enfants que les parents des autres provinces. C'est aussi au Québec qu'il y a le moins de livres dans les maisons: 78% des familles québécoises ont plus de 25 livres pour enfants, contre 85% ailleurs au Canada, et 28% des familles québécoises possèdent plus de 100 livres, contre environ 40% ailleurs. Une enquête de Hill Strategies de 2008 montrait par ailleurs que le Québec est au 7e rang canadien pour l'achat de livres. Une troisième étude, celle-ci de Patrimoine Canada, montre aussi que c'est au Québec que l'on trouve la plus faible proportion de gens qui lisent régulièrement (45% contre 59% ailleurs au Canada), que le nombre de livres lus est le plus faible (13,9 contre 17,6), et que le nombre d'heures par semaine consacrées à la lecture est le plus bas (3,9 contre 4,8).

Cette dernière enquête comportait une autre donnée, encore plus troublante. C'est au Québec qu'on retrouvait le moins de répondants disant que leurs parents leur lisaient des livres quand ils étaient petits, 49% contre 64%. Et le pire, c'est que cela n'a pas changé puisqu'ils sont maintenant moins nombreux, eux aussi, à lire à leurs propres enfants, 55% contre 75%.

Ce rapport au livre n'affecte pas que les résultats scolaires: il a un impact beaucoup plus grave sur les aptitudes à la lecture. Une vaste enquête de l'Organisation de coopération et de développement économiques sur la littératie montre que 19% des Québécois n'ont pas les compétences de base en lecture pour fonctionner normalement dans une société moderne, et qu'un autre 35% n'ont pas les aptitudes suffisantes pour bien s'épanouir. Bref, 54% des Québécois ne maîtrisent pas assez la lecture. C'est la pire proportion au Canada et l'une des pires de l'OCDE, avec l'Italie et l'Espagne. Avec des conséquences sur l'économie, la vie en société, la protection du français.

Comment inverser cela? D'abord, en valorisant la lecture. Dans cette mission, l'école joue un rôle central, car elle doit prendre le relais d'un milieu familial qui n'est pas toujours au rendez-vous. Et pour cela, il faut des bibliothèques attrayantes et beaucoup de livres, pour que les enfants aient du choix. Il faut aussi des messages clairs en faveur de la lecture. Exactement le contraire de ce qu'a fait M. Bolduc, qui n'a manifestement pas sa place en Éducation.