Depuis un an, on décrit de plus en plus souvent le déficit du gouvernement du Québec comme un déficit structurel, qui provient d'un déséquilibre fondamental dans le fonctionnement de l'État plutôt que des aléas de la conjoncture. Mais ça fait 15 ans qu'on le sait, qu'on voit bien que la croissance naturelle des dépenses publiques est plus forte que la croissance de l'économie.

Si le ministre des Finances Carlos Leitao, dans le budget qu'il déposera cet après-midi, devra concentrer ses énergies à combattre une sévère impasse financière, c'est en bonne partie parce que les gouvernements qui se sont succédé depuis une quinzaine d'années n'ont pas fait tout ce qu'ils auraient du faire pour que les finances publiques du Québec soient durables.

Il y a eu une révolution dans la gestion des finances publiques à la fin des années 90, quand le premier ministre Lucien Bouchard a imposé le principe du déficit zéro. Pour atteindre l'équilibre, on a eu recours à des mesures brutales dont l'effet était parfois temporaire. Cet effort initial n'a pas été prolongé par la mise en place de mesures plus durables. Quand les libéraux ont défait les péquistes, en 2003, le déficit était à zéro, mais tout était en place pour qu'il se remette à exploser.

Le nouveau premier ministre, Jean Charest, le savait si bien qu'il a promis des changements profonds dans la gestion de l'État. Cela a donné des initiatives comme la réingénierie ou les PPP, souvent pilotés par la présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget. Mais le gouvernement Charest, malmené par les mouvements sociaux et par une opposition dont le rôle s'apparentait à une forme de sabotage, a rapidement perdu son appétit pour les réformes. Ce n'est pas sa réélection minoritaire en 2007 qui a changé cela.

Mais la crise a rebrassé les cartes. Elle a permis aux libéraux de retrouver leur majorité et les a galvanisés. Mme Jérôme-Forget, aux Finances, s'est lancée dans une très ambitieuse stratégie pour ramener à zéro, dès 2013-2014, le déficit qui avait explosé en 2009, une feuille de route suivie par ses successeurs jusqu'à l'an dernier. Dans un premier temps, le premier souci était de restaurer des finances mises à mal par la récession, mais il est rapidement devenu clair que la détérioration marquée des finances publiques au Québec s'expliquait par des causes plus profondes.

Le ministre Raymond Bachand a d'ailleurs lancé plusieurs initiatives pour casser le carcan du statu quo - ticket modérateur en santé, hausse des frais de scolarité universitaires, dégel des tarifs de l'électricité patrimoniale. La plupart ont été abandonnées par le gouvernement Charest qui, encore une fois, a manqué de courage et de constance, ou renversées plus tard par le gouvernement Marois.

Déjà, un comité consultatif sur l'économie et les finances publiques, composé de quatre économistes - Claude Montmarquette, Pierre Fortin, Luc Godbout et Robert Gagné - affirmait en 2010 que le plan de redressement libéral était une «réponse partielle», et prévoyait «la réapparition rapide d'un déficit structurel». C'est hélas ce qui est arrivé.

Les libéraux, dans leur dernier budget, ont remis à plus tard des mesures de redressement budgétaire et refilé la patate chaude à leurs successeurs. Il a ensuite fallu un ralentissement léger, empiré par l'incohérence des politiques économiques du gouvernement Marois, pour que le ministre Nicolas Marceau perde carrément le contrôle et lègue un trou de 3,7 milliards, identifié par les économistes Montmarquette et Godbout, et confirmé hier par le vérificateur général.

La situation dont hérite maintenant Carlos Leitao résulte d'une succession de projets inachevés et de rendez-vous manqués. Et parce qu'on a trop attendu, qu'on a remis l'inévitable à plus tard, les efforts nécessaires pour retrouver l'équilibre seront encore plus pénibles.