Le fait de s'inquiéter des écarts de revenus et de la part disproportionnée de la richesse qui se retrouve dans les mains des plus riches est en général associé à la gauche, comme au mouvement Occupy Wall Street et sa dénonciation des «1%».

Et pourtant, cette question des inégalités de revenus préoccupe beaucoup un organisme comme l'Organisation de coopération et de développement économiques, qui vient de publier une autre étude sur la question. Cela nous dit entre autres que les lignes de partage entre ce qu'on appelle la gauche et la droite sont simplistes.

Dans sa dernière étude, l'OCDE rappelle que les écarts entre les 1 % les plus riches et le reste de la population se sont considérablement accrus dans la plupart des pays entre 1981 et 2012, y compris les pays scandinaves. Le phénomène est plus marqué dans les pays anglo-saxons: la part des revenus détenus par ces 1 % a plus que doublé aux États-Unis, de 8,2 % à 19,3 %. Au Canada, l'augmentation a également été importante, de 8,1 % à 12,2 %.

Le Québec est un peu plus égalitaire, puisque les 1 % ne touchent qu'environ 10,4 % du total. Mais cet écart nous classe quand même dans les sociétés à haute disparité des revenus, devant le Japon et toutes les économies avancées de l'Europe continentale.

Mais l'élément de l'étude qui est le plus troublant, c'est le fait que, depuis 30 ans, une très forte proportion de la croissance des revenus ait profité à cette petite minorité. Aux États-Unis, 47 % de la nouvelle richesse s'est retrouvée entre les mains du 1 %. Un autre 35 % est allé au reste du 10 % supérieur, tant et si bien qu'il n'est resté que 18 % de cette richesse pour l'immense majorité, les 90 % restants.

Au Canada, 37,3 % de la croissance de la richesse est allée au top 1 %, 28,7 % à ceux qui complètent le top 10 %. Il n'est resté que 34 % pour tous les autres. Suivent le Royaume-Uni et l'Australie. Dans tous les autres pays, environ 70 % de la croissance a profité aux 90 %.

Les facteurs qui ont mené à l'accroissement des inégalités sont nombreux: explosion de certains secteurs globalisés, comme les hautes technologies, le poids démesuré de l'économie financière, une dérive des valeurs qui déterminaient les rémunérations, la tendance nette à la baisse de la fiscalité des hauts revenus.

Comment freiner le mouvement? L'OCDE suggère des pistes fiscales, pour éliminer les privilèges fiscaux, comme le traitement plus avantageux de certains revenus ou les déductions qui profitent davantage aux riches. Il faudra un changement de culture pour s'attaquer aux rémunérations excessives et accroître la concertation entre pays.

Car il faut faire quelque chose. Le fait que les riches soient beaucoup plus riches que la moyenne ne pose pas de problème majeur en soi, tant que la majorité est bien rémunérée et que son sort s'améliore.

Mais quand les revenus de cette majorité stagnent, cela mène à une impasse, comme on le voit aux États-Unis. Il y a deux semaines, le New York Times, dans une étude très fouillée, montrait que le revenu des Américains moyens a été rattrapé par celui des Canadiens et que plusieurs autres pays ne sont plus loin derrière. C'est l'American Dream qui est menacé, dont le fondement est la prospérité des citoyens.

Quand la majorité ne profite pas du progrès économique, en plus du problème de justice sociale que cela pose, ce sont les fondements même des sociétés comme la nôtre qui sont remis en question, le contrat social qui suppose que le travail doive être récompensé et que la finalité des efforts de création de richesse est de tendre vers une société meilleure et une amélioration des conditions de vie.