Le Québec a perdu cette semaine une bataille juridique contre la Saskatchewan. Ce n'est pas un enjeu qui justifiera de mettre les drapeaux en berne pour marquer un autre jour funeste de notre histoire. La province de l'Ouest dénonçait des articles de la Loi sur les produits alimentaires du Québec portant sur les succédanés du lait qui, selon elle, constituaient une entrave au commerce entre les provinces.

Le sujet peut sembler insignifiant. En fait, il l'est. Ou plutôt, c'est la loi québécoise qui est parfaitement insignifiante. Et si j'en parle, c'est parce que cela nous fournit, encore une fois, une belle allégorie sur les dérives de la machine gouvernementale. D'abord, la bêtise de cette loi. Ensuite, les énergies que le gouvernement a consacrées à la défendre cette année. Enfin, le caractère archaïque de politiques agricoles encore façonnées, comme à l'ère de Duplessis, par le lobby du lait.

La portion de la loi contestée par la Saskatchewan était ridicule. Selon son article 7.1, «Il est interdit de mélanger un produit laitier ou un constituant d'un produit laitier et un succédané». L'idée, ce n'est pas d'empêcher un producteur de mettre de la margarine en cachette dans son beurre, mais plutôt le contraire, de l'empêcher de mettre du beurre dans la margarine ou du lait dans une boisson au soja. La bataille a été déclenchée par une entreprise dont le produit, une tartinade à base d'huile de soja contenant du babeurre, est interdit au Québec.

Officiellement, ces dispositions de notre loi visent à protéger le consommateur. On ne sait pas vraiment contre quoi. Le babeurre est-il toxique? Craint-on les réactions chimiques quand un produit d'origine animale rencontre un produit végétal? En principe, c'est pour éviter la confusion. Dans la même logique, un autre article de la même loi interdit d' «employer, pour désigner un succédané de produit laitier, les mots «lait», «crème», «beurre», «fromage» ou un dérivé de l'un de ces mots; utiliser, pour désigner un succédané de produit laitier, des mots, marques de commerce, appellations ou images évoquant l'industrie laitière.» C'est pour ça qu'au Québec, on n'a pas le droit de parler de lait de soja ou d'amandes.

Cela protège plus l'industrie laitière que le consommateur, en empêchant ses concurrents de rendre leurs produits plus attrayants ou plus goûteux en y ajoutant un peu de produit laitier, ou profitant des références culturelles associées aux produits laitiers.

La Saskatchewan, appuyée par les trois autres provinces de l'Ouest, estimait que ces dispositions constituaient une entrave au commerce encadré par l'Accord sur le commerce intérieur. Comme les provinces n'ont pas réussi à s'entendre à l'amiable, le litige a été confié à un groupe spécial de trois juristes qui a donné raison à la Saskatchewan. Le Québec a immédiatement annoncé qu'il portait la cause en appel.

Et pourtant, c'était tellement évident que le Québec était dans le tort qu'en mars 2013, le ministre d'alors, François Gendron, avait déposé le projet de loi 56, mort au feuilleton, qui abrogeait les articles en question. Malgré cet aveu, le Québec ne s'est pas entendu à l'amiable avec les provinces plaignantes; il a dépêché 12 hauts fonctionnaires devant le groupe spécial, autant que les quatre autres provinces réunies, et il va maintenant en appel. Sans doute pour défendre des points de droit. Ce n'est pas grave. Au Québec, on a de l'argent.

Et derrière la cause perdue, les survivances de politiques agricoles passéistes où le gouvernement, au lieu de diriger, devient une courroie de transmission de l'Union des producteurs agricoles et du lobby du lait, et où on pense protéger notre industrie laitière en s'attaquant au libre-choix des consommateurs. C'est le temps de changer de siècle.