Oui, Philippe Couillard a commis un crime en 1992. Ce crime, c'est d'avoir posé des gestes sans prévoir à l'avance la façon dont évoluerait le débat public 22 ans plus tard.

Son geste, anodin dans le contexte de l'époque, a été révélé dans un contexte tout autre, de méfiance des citoyens envers les riches et envers les politiciens, de dérive démagogique de nos débats électoraux où l'image compte plus que les faits, d'un glissement où la frontière entre la vie privée et l'intérêt s'estompe, le tout sur une toile de fond de faible littératie financière.

M. Couillard a travaillé quatre ans comme médecin en Arabie saoudite, entre 1992 et 1996. Il a coupé ses liens fiscaux avec le Canada, pour être traité comme un résident saoudien, et déposé ses revenus dans un compte de banque dans l'île de Jersey, un paradis fiscal à la sombre réputation. Personne n'a douté de la légalité de ses choix, mais on s'est interrogé lourdement sur leur moralité.

Les fiscalistes interrogés sur la question ont pourtant tous expliqué que c'était non seulement légal, mais la façon habituelle et normale d'agir. Les Québécois qui travaillent une longue période à l'étranger choisissent le plus souvent de devenir des contribuables des pays où ils travaillent. Ce n'est pas immoral de ne pas payer d'impôts au Canada quand on n'y vit plus et qu'on ne profite plus de ses services.

L'Arabie saoudite comporte toutefois deux particularités. Tout d'abord, il n'y a pas d'impôt sur le revenu. Ensuite, les intérêts sont interdits par la loi islamique. Les gens qui travaillent dans ce pays déposent donc leurs épargnes ailleurs. Comme bien de ses collègues, dit M. Couillard, il a ouvert un compte à la Banque Royale dans l'île de Jersey.

C'est là le problème. Pourquoi Jersey? Parce que s'il avait déposé son argent ailleurs, par exemple en France, il aurait dû payer des impôts sur les revenus de son épargne en France, même s'il n'y résidait pas. Il a choisi un endroit pratique et moins gourmand, fiscalement parlant. Mais Jersey est aussi une juridiction dénoncée pour le secret bancaire, un lieu de prédilection pour ceux qui veulent fuir le fisc ou blanchir de l'argent.

Dans le cas de M. Couillard, il n'y avait pas d'évasion fiscale. Tout était légal. Il n'y avait même pas d'évitement fiscal, puisqu'il n'avait aucune obligation fiscale envers le Canada. Mais il a commis un crime par association en se retrouvant au même endroit que des tricheurs.

Mais on plaque une logique de 2014 à un geste de 1992. À l'époque, les grands pays n'étaient pas en guerre contre les paradis fiscaux, les scandales auxquels on les associe maintenant n'étaient pas connus, ces paradis n'avaient pas la mauvaise réputation qu'ils ont aujourd'hui. J'ai vérifié dans les archives. On pouvait donc y investir sans méfiance. Mais c'est un argument logique, quand c'est l'image qui compte.

Sautant sur l'occasion, le Parti québécois a envoyé au front celui à qui il réserve ses «jobs sales», Bernard Drainville, qui s'est exclamé: «Alors, Philippe Couillard est parti pour l'Arabie saoudite faire profiter à l'Arabie saoudite de sa formation de neurochirurgien, quatre années, donc, pendant lesquelles les bons contribuables québécois qui avaient payé pour le former, eux, ont continué à payer de l'impôt.»

En substance, il dit aux Québécois qui seraient tentés par une expérience internationale de rester ici ou encore, s'ils décident quand même de partir, de continuer à payer leurs impôts au Québec. Le problème, avec les élans démagogiques de M. Drainville, c'est qu'on ne sait jamais si c'est la mauvaise foi ou la bêtise qui l'anime.

D'ailleurs, une question pour lui: le Québec reçoit environ 50 000 immigrants chaque année. Devraient-ils envoyer leurs impôts à l'étranger?