Le ministre de la Culture et des Communications, Maka Kotto, était certainement animé des meilleures intentions lorsqu'il a annoncé que son gouvernement règlementerait le prix du livre et limiterait le droit de faire des rabais.

Le monde des librairies indépendantes en arrache. Plusieurs d'entre elles ont fermé leurs portes, privant le Québec de leur contribution culturelle précieuse, dans l'accompagnement auprès des lecteurs, dans l'éventail de titres qu'elles proposent.

C'est pour leur venir en aide que le ministre s'est rangé aux arguments du monde de l'édition qui, depuis des années, réclame le prix unique du livre. Son projet, s'il passe le test de l'Assemblée nationale, prévoit que les rabais sur un nouveau titre ne pourront pas dépasser 10% du prix initial dans les neuf premiers mois suivant la publication, pour empêcher les grandes surfaces de mener une concurrence déloyale aux petits libraires.

En apparence, c'est une heureuse initiative. L'objectif, l'aide aux indépendants, est louable. Le cadre conceptuel est irréprochable, le fait qu'un livre n'est pas une livre de beurre, mais un produit culturel qu'il faut protéger. Les références sont nobles, notamment l'exemple français, souvent une référence dans le monde culturel.

Mais c'est un cas-type de mauvaise politique, parce qu'elle ne jouera pas son rôle, celui d'aider les petits libraires, et qu'elle créera d'autres problèmes, en décourageant la lecture.

Au départ, la politique repose sur un constat vérifiable. Les grandes surfaces, comme Costco ou Walmart, vendent des livres à rabais pour attirer la clientèle, en se concentrant sur les «best sellers», écrèment le marché et privent les vrais libraires de revenus faciles.

Mais la conclusion qu'on en a tirée est fausse. La pire menace ne provient pas des grandes surfaces, dont la part de marché - relativement faible à 10-11% - ne bouge pas depuis des années. Le premier problème, c'est plutôt la baisse marquée des achats de livres, peu importe où. En trois ans, de 2009 à 2012, les ventes ont chuté de 763 à 678 millions, une baisse de 18% quand on tient compte de l'inflation. Et l'autre, c'est la révolution qui frappe le livre avec les éditions électroniques et les achats en ligne. On se trompe de cible.

La solution repose sur une hypothèse qui est également fausse. On suppose qu'en bloquant les rabais dans les grandes surfaces, on réussira à ramener les lecteurs vers les petites librairies. Cela semble hautement improbable.

Les clients des grandes surfaces, surtout les lecteurs occasionnels qui mettent un best-seller dans leur gros panier, à côté du savon, ne sont généralement pas ceux qui fréquentent les petites librairies. Ils ont deux options plus plausibles: rester chez Costco, ou aller dans une chaîne de librairies, comme Renaud-Bray ou Archambault, qui détiennent déjà 51,4% du marché. Ce qui restera pour les petits libraires sera marginal.

Il y aura hélas une troisième option. Prenons le cas de Mauvaise foi, de Marie Laberge, dont le prix officiel est de 26,95$. Costco l'offre à 17,99$, un rabais de 33%. Avec le projet du ministre Kotto, on ne pourra pas le vendre en dessous de 24,25$. Cela signifie que les consommateurs attirés par les rabais paieront plus cher, une évidence que le monde du livre a nié systématiquement.

Le livre n'est pas une marchandise comme les autres, mais il reste un produit de consommation, soumis à des comportements bien documentés. Et qu'arrive-t-il quand le prix d'un produit est plus élevé? On achète moins. C'est la troisième option, que choisiront surtout ceux qui ont moins de moyens ou qui sont moins attachés à la lecture. Et c'est ainsi qu'on risque de réduire l'achat de livres dans une société où on lit moins qu'ailleurs. Drôle de politique culturelle. Drôle de politique sociale.