Depuis des années, je reçois des photos par courriel. Des photos de femmes voilées, de musulmans faisant la prière, de mosquées. Et j'en reçois encore plus depuis cet automne.

Ces photos, accompagnées de commentaires indignés, circulent à travers des réseaux clairement islamophobes, souvent à partir de la France, de courants manifestement proches du Front national. Leur message est toujours le même. «Regardez ce qui se passe en Hollande». «Avez-vous vu ce qui est arrivé en Belgique?». «Et si on ne fait rien, cela arrivera chez nous aussi».

J'ai donc ressenti un malaise quand la photo des éducatrices d'une garderie de Verdun couvertes d'un niqab a fait surface la semaine dernière. Elle est devenue virale dans Facebook pour finalement se retrouver dans les journaux et dans les bulletins de nouvelles.

Elle a suscité des réactions indignées, y compris de ministres du gouvernement Marois. On voyait venir l'effet boule de neige. Mais l'histoire s'est rapidement dégonflée quand on en a su plus sur cette garderie et ces éducatrices, notamment grâce à Radio-Canada et à La Presse. Parce qu'une photo, contrairement à ce que dit le dicton, ne vaut pas toujours mille mots.

Une photo, sans le contexte, peut mener à des interprétations fautives ou excessives, comme celles du ministre Bernard Drainville, qui s'est inquiété parce que «c'est une question de respect pour nos enfants». Mais les parents, non musulmans, ont volontairement choisi cette garderie. «Ce serait normal qu'ils puissent voir le visage de leur éducatrice», a-t-il ajouté. En fait, c'est déjà le cas, car ces éducatrices ne sont pas voilées à l'intérieur.

Qu'est ce qu'on a appris sur ce qui se passait derrière cette photo? D'abord, que ces éducatrices voilées ont choisi elles-mêmes ce mode vestimentaire extrême. Elles n'ont pas été forcées par un mari intégriste ou par un milieu familial étouffant. Un choix que j'associe personnellement à un dérèglement culturel et religieux, mais qui, dans ce cas précis, n'incarne pas la forme d'oppression que veulent combattre ceux qui dénoncent le voile.

Ce n'est pas non plus une des manifestations du complot intégriste, où des barbus déploieraient discrètement leurs tentacules en secret pour faire progresser leur vision du monde dans une société occidentale. Ces gardiennes exerçaient leurs activités dans leur coin, sans prosélytisme, sans vouloir que l'on parle d'elles.

Ce n'est pas non plus un cas d'accommodement déraisonnable où une minorité religieuse exige une exception ou impose ses coutumes à la majorité. Les parents qui leur ont confié leurs enfants l'ont fait en toute connaissance de cause, malgré l'évidente barrière du niqab.

Ce n'est pas non plus un symbole de l'intrusion du religieux dans l'espace laïc de l'État puisqu'il s'agit d'une garderie privée non subventionnée, qui n'est liée d'aucune façon au gouvernement.

Ces voiles reflètent toutefois deux choses. D'abord, la présence plus nombreuse de musulmans au Québec. Ensuite, la montée de l'intégrisme au sein des sociétés musulmanes.

Est-ce qu'une garderie comme celle-là nous menace? Non. Est-ce qu'elle reflète les valeurs de notre société? Vraiment pas. Est-ce que cela agace? Évidemment. Personnellement, je crois que le port du niqab, même s'il est volontaire, est une pratique moyenâgeuse, plus culturelle que religieuse, pour laquelle je n'ai aucune forme de sympathie.

Mais on ne fait pas des lois pour interdire ce qui nous agace. C'est un principe fondamental, dans les sociétés civilisées, de respecter la liberté des citoyens, quand elle n'entrave pas celle des autres, celle de ces éducatrices et des parents qui leur ont confié leurs enfants et qui, dans ce cas précis, celui d'une garderie non subventionnée, avaient vraiment le choix d'aller ailleurs. Même si on n'aime pas ça.