Le nouveau maire de Montréal, Denis Coderre, voudrait que Montréal redevienne «incontournable». Mais il est possible que le psychodrame qui se déroule actuellement à Toronto ait, indirectement, une influence négative sur ses rêves et ses objectifs.

Je ne parle évidemment pas du fait que les Montréalais se réjouissent perversement des frasques du maire Rob Ford, heureux de voir que les projecteurs se braquent maintenant sur la Ville reine, en espérant que Toronto, en se couvrant de ridicule, fasse un peu oublier que Montréal s'est couvert de honte.

Mais la crise torontoise pourrait avoir un autre effet, moins superficiel. Montréal, dans sa quête d'autonomie, voyait Toronto comme un modèle, et souhaite depuis des années disposer des mêmes pouvoirs et du même régime dont jouit la capitale ontarienne. La crise actuelle, qui illustre à quel point Toronto dispose de peu de moyens pour contrôler son maire, ne peut que faire reculer le dossier de l'autonomie municipale.

Le projet, qu'il faut saluer, de rendre Montréal incontournable doit passer par deux chemins. Le premier est politique, la capacité de Montréal d'établir des rapports de forces, d'être entendu. Le second est administratif, et c'est de disposer des pouvoirs et de la liberté d'action dont une ville incontournable a besoin.

Au premier niveau, le politique, le succès reposera largement sur la capacité de M. Coderre de bien comprendre ses partenaires gouvernementaux, de forger des alliances, avec la banlieue, avec la ville de Québec, de doser le dialogue et les pressions, de convaincre Québec, pas toujours ouvert aux besoins de la métropole, ou encore lui forcer la main, comme les maires de Québec ont su si bien le faire.

Mais il y a un autre enjeu. Et c'est le déséquilibre considérable entre les responsabilités des grandes villes et leurs moyens. Leur rôle va en croissant - moteur économique, creuset culturel, lieu de convergence des problématiques sociales, pôle international. Mais elles n'ont pas les ressources, contraintes par la taxe foncière, ni les outils pour pleinement jouer leur rôle. Il y a un déplacement des responsabilités que nos institutions politiques ne reconnaissent pas.

À bien des égards, une ville comme Montréal est en quasi-tutelle, encadrée par une charte, forcée de demander la permission pour une foule de choses. Par exemple, M. Coderre, en campagne, a promis de créer un poste d'inspecteur général pour lutter contre la corruption. Mais un geste aussi simple exige qu'il obtienne l'aval du gouvernement, le force à discuter avec deux ministres, Jean-François Lisée, responsable de la métropole, et Sylvain Gaudreault, aux Affaires municipales. Comme si le maire élu d'une ville de 1,7 million d'habitants était un enfant d'école.

Pour libérer Montréal de ce carcan, en 2007, le maire précédent, Gérald Tremblay avait mené une bataille pour obtenir le statut de Toronto, qui en était arrivé à une entente historique avec le gouvernement ontarien, reconnaissant formellement la nature unique de la ville et lui octroyant le principe du pouvoir habilitant, la capacité de poser des gestes sans demander de permission dans ses champs de compétence, de taxer sans permission dans les champs qui lui sont ouverts.

Le maire Tremblay a obtenu certains droits fiscaux. Mais la vraie bataille, celle de l'autonomie d'une grande ville, il l'a perdue, par manque de fermeté, mais aussi parce que les scandales ont miné la crédibilité de son administration et conforté le gouvernement provincial dans son paternalisme à l'égard des villes.

Et c'est là que les aventures du maire Ford peuvent jouer. Elles illustrent les limites du pouvoir municipal s'il est mal utilisé. Elles risquent de faire reculer toutes les grandes villes du Canada, comme les scandales qui ont frappé Montréal ont fait reculer toutes les villes du Québec.