Derrière la crise budgétaire qui paralyse Washington, il y a une crise idéologique. Elle porte sur le rôle de l'État, mais surtout sur la réforme de la santé, baptisée Obamacare, qui suscite une opposition farouche, presque religieuse, des éléments conservateurs de la société américaine.

Cette bataille est difficile à comprendre hors des États-Unis. D'abord, parce que le système de santé américain est unique, le seul dans les économies avancées où la santé est d'abord une question de choix individuels relevant du domaine privé. Ce refus de l'encadrement de l'État n'est pas acceptable ailleurs, parce qu'il mène à un manquement aux principes les plus élémentaires de justice sociale.

Ensuite, parce qu'aucune société avancée ne voudrait s'inspirer d'un modèle qui est largement un échec. Car s'il est remarquable du côté de l'innovation, de la recherche, de la qualité, de la rapidité, le système américain a failli du côté de l'accessibilité - 50 millions de citoyens sans protection adéquate -, du contrôle des coûts - c'est de loin le système le plus coûteux de la planète - et du côté de plusieurs grands paramètres avec lesquels on mesure le succès des politiques de santé.

Et c'est ainsi que, spontanément, on se réjouira ici d'une réforme comme celle que propose le président Obama, même si elle est d'une étonnante timidité et même si elle ne mène pas à un système similaire au nôtre ou à celui des pays européens. Ce que fait l'Obamacare, le Patient Protection and Affordable Care Act, c'est de rendre des mécanismes d'assurance accessibles et obligatoires pour un grand nombre, mais pas tous, d'Américains qui n'avaient aucune protection, et d'élargir un peu le système public.

Mais ce régime ne fera rien pour réduire les coûts, parce qu'il complexifie un système déjà dysfonctionnel. Les coûts du système américain sont astronomiques. Les États-Unis consacrent 17,7% de leur PIB à la santé, ce qui est colossal en comparaison des autres pays riches, comme le Canada, aux alentours de 12%. Par habitant, les dépenses de santé atteignaient 8507US$ en 2011, contre environ 4000 US$ pour les autres pays riches.

Ces coûts s'expliquent en partie par la richesse du pays, par le choix de certains - plus difficile dans un système public - de dépenser beaucoup pour une médecine de pointe. Mais il tient beaucoup à l'absence d'encadrement et à l'absence de rationnement que l'on retrouve davantage dans les régimes publics.

Ce niveau de dépense élevé a aussi un impact paradoxal, que peu de gens connaissent. Malgré tout le débat antiétatique qui fait rage aux États-Unis, les dépenses publiques en santé aux États-Unis - je dis bien publiques - sont les plus élevées au monde, 4066US$ par habitant en 2011, contre autour de 3500US$ ailleurs, en raison de la portion du régime qui est publique - le Medicare pour les personnes âgées, le Medicaid pour les personnes à très faibles revenus - victimes de l'inflation des coûts du secteur privé.

Il y a un autre paradoxe: ces dépenses exceptionnelles ne se traduisent pas toujours par des résultats exceptionnels, notamment l'espérance de vie qui, à 78,7 ans, est assez loin des 81-82 ans que l'on retrouve ailleurs; ou la mortalité infantile qui, à 6,1 par 1000 habitants, est le double d'ailleurs. Des retards qui s'expliquent toutefois en partie par les inégalités sociales et ses effets sur des déterminants de la santé, comme l'obésité et l'analphabétisme.

Morale de l'histoire: même si le système américain a beaucoup à nous apprendre, pour sa technologie, pour la qualité de ses résultats pour ceux qui y ont accès, pour ses connaissances en santé publique, pour ses principes de gestion et d'efficacité, personne, à part quelques illuminés, ne voudrait l'importer ici.