Mardi dernier, trois membres du groupe féministe Femen ont perturbé quelques minutes les travaux parlementaires à Québec en dévoilant leurs seins pour dénoncer la présence du crucifix à l'Assemblée nationale.

Le succès a été total. Les bulletins de nouvelles ont parlé de coup d'éclat, ça a fait les manchettes partout, à grands renforts, on s'en doute, de photos et d'extraits vidéo.

Ce n'est certainement pas parce que les trois militantes ont permis un progrès de la réflexion. Depuis le dépôt de projet de charte des valeurs, les critiques se sont multipliées pour souligner l'incohérence de prôner la laïcité de l'État tout en maintenant un crucifix à l'Assemblée nationale. On ne peut pas vraiment dire non plus que le message précis des militantes, bien en vue sur leur poitrine, «crucifix, décâlisse», constituait une contribution intellectuelle particulièrement enrichissante.

Cet incident ne nous aura appris qu'une chose, que les publicitaires connaissent bien, et c'est l'intérêt soutenu pour la poitrine féminine. Et que le fait pour une jeune femme de montrer ses seins reste toujours une façon très efficace d'attirer les regards et l'attention.

Il nous rappelle aussi la vulnérabilité du monde médiatique, en cette période dominée par l'information continue et instantanée, devant les mises en scène destinées à attirer les objectifs et les caméras.

Il nous aura enfin appris quelque chose sur nos échelles de valeurs. Le débat que les féministes ont interrompu portait sur l'économie, où l'opposition libérale planifiait de mettre le gouvernement Marois sur la sellette au sujet de l'affaiblissement économique du Québec et la baisse de l'emploi. Eh bien, l'intermède mammaire a tellement capté l'attention qu'il n'y a pas eu un seul mot, nulle part, sur ce débat parlementaire portant sur un thème pourtant majeur.

Loin de moi l'idée d'en faire le reproche à mes collègues, parce que les échanges entre la première ministre Pauline Marois et son ministre des Finances Nicolas Marceau d'un côté, et le chef de l'Opposition officielle Jean-Marc Fournier et le député Sam Hamad de l'autre, étaient d'une navrante pauvreté - questions grandiloquentes, réponses évasives, surenchère partisane et chiffres tout croches.

Le débat était peut-être pauvre, mais l'enjeu est réel. La croissance qui, selon les prévisions, s'annonçait faible, sera encore plus anémique qu'on le croyait. Avec un impact peut-être important sur les finances publiques. La baisse de l'emploi, dont j'ai souvent parlé, est très préoccupante - 8400 pertes en juin, 30 499 en juillet, 5000 en août, un total de 50 100 depuis le début de l'année - qui ne peuvent pas seulement s'expliquer par le contexte mondial puisque l'emploi continue d'augmenter allègrement ailleurs au Canada.

Jusqu'ici, le ministre Marceau, en profitant d'une anomalie statistique, insiste sur le fait qu'il s'est créé 62 000 emplois par rapport à l'an dernier, et proclame qu'«on va plus vite puis mieux que l'ancien gouvernement». C'est quand même un tour de force de se vanter des succès sur le front de l'emploi quand les emplois sont en chute libre.

J'ai déjà écrit sur la position intenable du ministre des Finances. Si je reviens sur la question, c'est que je suis assez étonné, voire estomaqué, qu'un ministre maintienne la même ligne depuis quatre semaines, avec un discours partisan et primaire qui entache sa crédibilité. Il aurait au moins pu raffiner son argumentaire. Par exemple, souligner la volatilité des données de Statistique Canada, ou des prévisions économiques qui annoncent une fin d'année un peu meilleure. Et surtout reconnaître qu'il y a matière à inquiétude.

Mais Nicolas Marceau a été chanceux. Les Femen lui ont donné un petit coup de pouce. D'habitude, on dirait qu'il a été sauvé par la cloche. Dans son cas, disons plutôt qu'il a été sauvé par six mamelons.