On le savait, le gouvernement Marois avait l'intention, dans sa politique pour encadrer les accommodements religieux, d'affirmer de façon formelle la neutralité religieuse de l'État.

Et bien, croyez-le ou non, de l'aveu même du ministre responsable de ce dossier, M. Bernard Drainville, le gouvernement n'a pas encore pris position sur la pratique de la prière au conseil municipal de Saguenay. «C'est une question sur laquelle le gouvernement réfléchit actuellement.»

N'est-il pas étrange que ce gouvernement, épris de clarté et à l'affût des débordements de religiosité, soit encore en réflexion sur la prière dans les conseils municipaux, qui n'a rien de laïque et qui est, par définition, ostentatoire?

Dans le même ordre d'idées, le projet gouvernemental, qui interdit les signes religieux pour les employés de l'État, notamment un crucifix, sauf s'il est tout petit, permettra le maintien du gros crucifix de l'Assemblée nationale, au nom d'un critère assez flou qui sera ajouté à la Charte québécoise des droits et libertés pour tenir compte «du patrimoine culturel québécois». Et pourtant, le seul patrimoine qu'incarne ce crucifix, installé en 1936 dans un élan de piété par le premier ministre Duplessis, c'est celui de la Grande Noirceur.

Ces deux éléments envoient un message assez clair. La laïcité, c'est pour les autres. Tout signe religieux sera interdit, sauf quand il reflète ce qui reste d'attachement à la religion catholique au sein de la population de souche. Appelons cela la laïcité à géométrie variable. Elle révèle le jupon politique qui dépasse sous la jupe des valeurs.

La rumeur voulait que le gouvernement Marois ait été la source des fuites sur la charte des valeurs québécoises. On réalise maintenant que ce striptease ne cherchait pas seulement à lancer des ballons politiques. Ces fuites, en amorçant un débat à chaud, ont aussi servi à masquer le caractère brouillon de la charte des valeurs déposée formellement hier par le ministre Drainville.

Rarement aura-t-on vu une présentation aussi sommaire pour lancer un projet défini comme majeur. Le «document d'orientation» compte à peine une vingtaine de pages. Il n'essaie même pas de définir les fameuses valeurs québécoises, sauf pour énumérer la primauté du français, l'égalité hommes-femmes, la séparation de l'église et de l'État.

Le document ne repose sur aucune étude sur l'étendue du problème que l'on dit vouloir résoudre, ni sur la nature des cas difficiles qui se seraient présentés. Il ne réussit pas non plus à démontrer en quoi la mesure phare, l'interdiction des signes religieux, assurerait le principe de la neutralité religieuse de l'État ou aiderait à résoudre les problèmes associés aux accommodements. Ce document ne comporte pas davantage d'évaluations juridiques poussées, dans un dossier qui se retrouvera inévitablement devant les tribunaux.

Curieusement, cette politique ne propose pas non plus de règles claires, ce que souhaitaient avant tout les citoyens. Les critères proposés pour encadrer les accommodements sont essentiellement ceux de la commission Bouchard-Taylor et ceux qu'utilisent déjà les tribunaux. Mais le ministre ne propose aucun mécanisme pour soutenir les institutions aux prises avec un problème d'accommodement ni de guide d'interprétation pour s'assurer d'un minimum de cohérence dans l'application des règles.

Et pour coiffer le tout, le gouvernement Marois a choisi de donner un titre accrocheur à cet exercice, «Parce que nos valeurs, on y croit», qui ne suggère certainement pas l'inclusion et qui donne l'impression que nous sommes en présence d'une opération de propagande plutôt que d'une réflexion collective.