Officiellement, c'est la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, qui a marqué le début de la grande crise financière, même si les germes s'étaient manifestés beaucoup plus tôt et même si, à l'époque, on ne se rendait pas encore vraiment compte de l'ampleur du tsunami qui allait déferler.

Il y a bien des façons de faire le bilan de cette catastrophe économique dont nous sentons encore les effets, cinq ans plus tard. Mais au-delà des explications savantes sur les effets pervers de la mondialisation, sur les conséquences d'une déréglementation excessive, sur les pratiques bancaires coupables, cette crise financière a été provoquée par une crise morale.

Ce sont les comportements humains qui sont à l'origine de l'effondrement des marchés financiers et des effets en cascade sur l'économie mondiale. Et ce qui me frappe, c'est que les manquements éthiques et les glissements de valeurs qui nous ont plongés dans l'abîme sont toujours bien présents. Comme si nous n'avions pas retenu les leçons de la crise, comme si nous n'avions pas compris.

La première de ces attitudes coupables, c'est l'aveuglement volontaire, la capacité phénoménale des hommes de ne pas voir ce qu'ils ne veulent pas voir, qui a pris, dans la dernière décennie, des proportions épidémiques.

Chez les gouvernements, surtout américain, trop heureux de profiter d'une croissance, notamment nourrie par l'immobilier, dont ils ne voulaient pas voir l'artificialité. Chez tous les décideurs, politiciens, économistes, analystes, qui ont majoritairement refusé de voir les signes avant-coureurs du drame qui se préparait. Chez les dirigeants d'entreprises qui ont encouragé ou fermé les yeux sur des pratiques qui gonflaient leurs résultats. De ce côté, il y a heureusement eu un certain progrès. Nos gouvernements ont découvert les vertus de la prudence et de la vigilance.

On ne peut pas en dire autant d'un autre trait de caractère, appelons-le rapacité ou appât du gain, à défaut d'avoir en français un mot qui le décrit aussi bien que l'anglais «greed». L'appât du gain est devenu une espèce de valeur universelle à partir des années 90 - valorisation des fortunes soudaines, étalage vulgaire de la richesse, accroissement soudain des écarts de revenus, généralisation de l'évasion et de la fraude fiscale.

Cet appât du gain, on l'a vu à l'oeuvre dans les comportements des marchés financiers et dans les stratégies des entreprises pour augmenter la rentabilité, souvent de façon risquée. On l'a vu aussi chez les citoyens, tentés de s'endetter et d'oublier la prudence dans la recherche de gains rapides.

Cette pression reste forte, même si la crise aurait dû servir d'avertissement. On la voit dans la place importante que joue toujours la spéculation, dans la façon dont les marchés boursiers ont tout fait pour s'imaginer que la crise était derrière nous et qu'on revenait au «business as usual».

Le troisième comportement qui a contribué à la crise, c'est la perte de sens, la tendance à oublier l'économie réelle, celle des gens, des travailleurs, des consommateurs, des produits, des services, pour appréhender l'économie à travers le prisme virtuel de la finance. Des exemples? La tendance à évaluer l'importance d'un événement ou la pertinence d'une politique à travers les réactions des marchés. Ou encore l'idée, bien ancrée, que la principale obligation d'une entreprise est envers ses actionnaires, quand ceux-ci peuvent n'être que les spéculateurs de passage, et quand ce précepte peut mener à minimiser les les devoirs envers les employés, les clients, la communauté. Ou encore les ravages que peuvent faire les diktats des «hedge funds».

Il y a des choses à changer dans nos comportements économiques. C'est quand ce redressement éthique sera bien amorcé que l'on pourra dire que nous avons vraiment tiré les leçons de la crise.