Ce qui plait aux Québécois dans le projet d'une charte des valeurs québécoises, c'est qu'elle puisse établir des balises, définir des règles claires qui permettraient de s'assurer que les accommodements avec les minorités soient raisonnables.

Mais quand on regarde de près les grands principes que le gouvernement Marois voudrait instaurer, décrits avec assez de détail dans deux fuites médiatiques, on découvre qu'ils mèneraient à accepter des accommodements dans la plupart des dossiers qui ont fait les manchettes! Avec ces nouvelles règles, le turban aurait été permis sur les terrains de soccer.

La semaine dernière, dans une entrevue à Radio-Canada, le ministre Bernard Drainville, à qui le journaliste Jacques Beauchamp demandait de donner des exemples de dérapage, a répondu: «Vous avez pas entendu parler de l'histoire du turban sur les terrains de soccer, vous? Puis il y a eu l'histoire des panneaux de stationnement aussi. Puis les autres cas dont on a parlé, à bien des égards, c'est pas réglé. L'histoire des congés religieux, M. Beauchamp, pensez-vous que c'est réglé?»

Prenons ces cas un par un, en appliquant les principes que semble privilégier le gouvernement: la séparation entre l'Église et l'État, l'existence d'une discrimination qui rend la demande d'accommodement légitime, le respect de l'égalité entre les hommes et les femmes, le critère de la contrainte excessive, pour que la demande soit réaliste aux plans financier et organisationnel, et le fait qu'elle ne menace pas la santé et la sécurité.

Le turban? La laïcité de l'État n'est pas en cause, on est sur un terrain de soccer. L'obligation religieuse du port du turban pour les sikhs est réelle. Pas de problème hommes-femmes. Aucun coût. Et l'argument de la sécurité a été balayé par la Fédération internationale de soccer.

L'assouplissement des règles de stationnement à Outremont pour les juifs hassidiques? Leurs préceptes religieux leur interdisent de déplacer une voiture les jours de fête. Ça n'affecte pas la laïcité de l'État. Les voitures n'ont pas de sexe. Pas de coût. Pas de risques.

De la même façon, deux des quatre accommodements que les Québécois trouvent inacceptables, selon un sondage Léger Marketing, passeraient le test: les repas kasher ou halal dans les CHLSD, et les congés pour les religions non chrétiennes, si on les gère de façon équitable, comme le fait la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, en respectant un autre critère, celui ne pas brimer les droits de la majorité.

L'exigence d'un médecin féminin ou la séparation des hommes et des femmes dans une piscine seraient rejetées au nom du principe de l'égalité hommes-femmes.

Il y a quelques conclusions à tirer. Premièrement, la quasi-totalité des cas montés en épingle ne portent pas sur des enjeux fondamentaux et sont davantage des irritants, comme le turban ou le stationnement.

Deuxièmement, il est illusoire de croire qu'on pourra établir des règles claires qui résoudront tous les problèmes. Nous sommes dans le domaine du cas par cas et des exceptions. Ces règles sont essentielles, mais elles ne remplaceront pas l'intelligence, le bon sens et le respect du droit.

Troisièmement, ces nouvelles normes mèneraient très exactement aux mêmes réponses que le rapport de la commission Bouchard-Taylor, ridiculisé par Pauline Marois et tabletté par Jean Charest. Pourquoi réinventer la roue? Nous avons déjà tout ce qu'il faut, notamment pour protéger le principe fondamental de l'égalité entre les hommes et les femmes. La charte est absolument inutile.

Enfin, insistons sur l'importance de la modération. La transcription de la réponse du ministre Drainville ne rend pas bien ses accents d'indignation populiste. Ce ton n'a pas sa place dans un débat éclairé.