Il y a une dizaine de jours, j'ai écrit une chronique sur le camembert où je montrais qu'un camembert québécois vendu au Québec coûtait trois fois et demie plus cher qu'un camembert français vendu en France. Un texte qui cherchait à faire ressortir les effets pervers de notre système de gestion de l'offre.

Comme je m'y attendais, la Fédération des producteurs de lait du Québec n'a pas tardé à répondre. Ce lobby puissant, qu'aucun gouvernement n'a jamais osé affronter, défend sur toutes les tribunes l'orthodoxie de nos politiques laitières. Le DG de la fédération, défenseur du dogme, voulait, dans sa réplique courroucée, «rétablir certains faits allégués».

La fédération, ne pouvant pas nier ces écarts de prix parfaitement vérifiables, expliquait que ce n'était pas la faute du prix du lait, mais plutôt des réseaux de distribution qui «gonflent leur marge». Une espèce de complot qui, de toute évidence, ne frapperait que les produits laitiers.

Je reviens donc à la charge, pour montrer qu'il y a un problème avec le prix du lait. Aux États-Unis, selon les données du US Bureau of Labour Statistics, le gallon de lait 3,25%, un format très fréquent là-bas, se vendait en moyenne 3,43$ US en mars. Soit 3,56$ CAN pour quatre litres, ou 89 cents le litre. Au Québec, où les prix sont fixés par un organisme public, la Régie des marchés agricoles et alimentaires, le quatre litres en sac peut varier entre 6,32$ et 6,92$. Choisissons le prix minimum, qui donne 1,58$ le litre, même si le prix de formats choisis par les consommateurs oscille plutôt entre 2,00$ et 2,25$. L'écart Québec-États-Unis est de 77%.

Et maintenant une question. Qu'est-ce qui arriverait si le ministre des Finances, Nicolas Marceau, décidait de taxer le lait pour réduire le déficit? On imagine le tollé. Et pourtant, c'est exactement ce que l'on fait. Cette prime de 77% est l'équivalent d'une taxe à la consommation.

Au Canada, au lieu de subventionner les producteurs laitiers, on a choisi de soutenir leurs revenus en contrôlant le marché par la gestion de l'offre. On limite la production avec des quotas laitiers, ce qui maintient les prix élevés. Et pour que le système tienne le coup, on le protège contre la concurrence étrangère, avec des quotas à l'importation et des tarifs prohibitifs. Au lieu de soutenir la production laitière à travers nos impôts, nous le faisons en payant plus cher.

Mais ça ne revient pas au même. En mettant le fardeau sur le consommateur, on crée une taxe qui va à l'encontre de tous les grands principes de notre fiscalité. Elle frappe un bien essentiel, quand les aliments sont exemptés de la TPS-TVQ. Elle est en outre régressive. Cette prime d'environ 250$ pour une famille de quatre personnes fait plus mal à un ménage pauvre qu'à un ménage riche. Et il y a quelque chose d'insensé à ce que la ponction sur le lait soit cinq fois plus élevée que sur le parfum.

Il est vrai qu'il faut soutenir l'agriculture. Mais protéger, ce n'est pas aider. Le système de gestion de l'offre ne fonctionne que si on ferme nos frontières. On prive donc les producteurs de la possibilité de se développer par les exportations, et on les maintient dans un confort artificiel qui ne pousse pas au dépassement.

En entrevue au Devoir, Jean Pronovost, l'auteur du rapport qui proposait une profonde réforme, estimait que le système agricole «est en train d'étouffer, parce qu'il s'est entouré d'un régime de protection qui est devenu, avec les ans, toujours un petit peu plus étanche. Il est rendu à un point où il empêche le système d'évoluer, d'innover.»