Il est très difficile de parler de solutions quand on ne sait pas que le problème existe ou encore quand on ne comprend pas la nature du problème.

C'est un peu le problème d'Alban D'Amours et le comité d'experts qu'il dirigeait, qui remettait mercredi un rapport attendu sur la réforme du régime de retraites. Il contient plusieurs propositions intéressantes, notamment la création d'une rente pour les 75 ans et plus, et plusieurs mesures pour assurer la pérennité des régimes complémentaires de retraite. Mais comment en discuter dans un débat public si les Québécois ne sont pas conscients du fait que nous allons frapper un mur?

Voilà pourquoi, dans cette chronique, je ne parlerai pas vraiment des recommandations de ce comité, mais plutôt du problème. Le fait que notre système de retraite - les pensions fédérales, la régie des rentes, les régimes complémentaires des entreprises, les RÉER - ne suffit pas à la tâche. C'est grave. Si nous ne faisons rien, des millions de gens en souffriront.

Pour que les retraités aient une vie décente et confortable, on estime en général qu'il leur faut 60% de leurs revenus de travail. Ça n'arrivera pas. 45% des familles dont le revenu se situe entre 38 000$ et 67 000$ n'atteindront pas ce seuil, tout comme 49% des 67 000$ - 92 000$. En fait, le sort de cette classe moyenne sera pire parce que ces calculs ont été établis pour une retraite à 65 ans. Comme l'âge moyen de la retraite est plutôt de 59,9 ans au Québec, la proportion de ceux qui n'auront pas un revenu suffisant dépasse largement les 50%.

Cette impasse s'explique en partie par le fait qu'un grand nombre de gens ne sont pas adéquatement couverts. Les régimes publics ne suffisent pas. Mais l'autre grand mécanisme, les régimes complémentaires des employeurs, ont une pénétration très inégale. Sur 3,9 millions de travailleurs, 1 861 000, soit 47%, n'ont aucun régime de retraite et doivent compter seulement leur épargne personnelle. Si on regarde seulement les quelque 3,1 millions travailleurs du privé, cette proportion passe à 60%!

Les quelque 2,1 millions de ceux qui participent à un régime complémentaire sont peut-être privilégiés, mais les 1 379 000 travailleurs qui ont des régimes à prestation déterminée, plus avantageux, découvrent que, dans une proportion de 72%, leurs régimes sont vulnérables. Et les 714 000 autres doivent se contenter de régimes où leur retraite n'est pas garantie.

Pour compenser ces carences, il faudrait que les futurs retraités puissent disposer d'une épargne personnelle suffisante. D'autant plus qu'il faut plus d'argent qu'avant, puisqu'on vit plus longtemps. Mais les Québécois n'épargnent pas assez. Ils sont très loin d'utiliser à plein leur RÉER.

Curieusement, c'est en quelque sorte un drame sans coupables. Le déséquilibre s'explique largement par la convergence de plusieurs tendances lourdes et inexorables. D'abord, le prolongement de la vie. L'espérance de vie à 65 ans, la plus pertinente quand on discute de retraites, atteint 84 ans pour les hommes et 87 pour les femmes, ce qui exerce une pression sur tous les véhicules de retraite. Cette pression est amplifiée par les retraites précoces et par le fait qu'il y a moins de jeunes travailleurs pour soutenir les régimes. Pour coiffer le tout, à cause de la crise, les actifs des régimes ont fondu et les rendements se sont effondrés.

Comment on s'en sort? Il y a plusieurs pistes: encourager l'épargne, assurer la solvabilité des régimes, enrichir les rentes, dans ce cas-ci pour les 75 ans et plus. Ce qu'il faut retenir, c'est que peu importent les solutions retenues, il faudra consacrer plus d'argent à la retraite, que ce soit par l'épargne, par des impôts, par des cotisations plus élevées. Peu importe les solutions, il faudra sacrifier le présent pour assurer un meilleur avenir.