Ce que l'on regardera probablement avec le plus d'attention quand le ministre des Finances, Jim Flaherty, déposera son budget demain après-midi, c'est comment, et surtout quand le gouvernement conservateur arrivera au déficit zéro. En 2015, comme le ministre l'avait prévu dans son dernier budget? Ou en 2016, comme il l'avait laissé entendre dans sa mise à jour économique et financière d'octobre dernier?

Il ne s'agit pas un débat abstrait, d'un exercice de spéculation oiseuse sur des chiffres et des dates. Plus l'élimination du déficit sera rapide, plus elle reposera sur les compressions de dépenses, qui font mal. Plus elle est graduelle, plus elle pourra compter sur la contribution indolore de la croissance économique.

Il ne s'agit pas non plus vraiment d'un débat financier reposant sur de savantes réflexions économiques. Au stade où nous en sommes au Canada, avec des finances publiques relativement saines et une économie assez dynamique, la façon dont on viendra à bout du déficit est devenue un enjeu essentiellement politique où s'affrontent des valeurs, des idéologies et des calculs électoraux.

Pour mettre les choses en contexte, rappelons que les conservateurs de Stephen Harper, partisans de la rigueur financière et d'un État allégé, ont marché sur leurs principes pour adopter des politiques de relance de type keynésien quand la crise a frappé en 2009. C'est à reculons qu'ils se sont résignés à laisser exploser le déficit à 53,8 milliards en 2009-2010 - parlons de 2009 pour simplifier la lecture - et à 49,2 milliards en 2010.

M. Flaherty s'est attaqué à la résorption du déficit en 2011 avec un plan de redressement pour le ramener à zéro sur une période de cinq ans, soit en 2015. Mais on note que les échéances ont varié dans le temps, en raison de l'instabilité économique, ce qui étonne néanmoins de la part d'un gouvernement pour qui le moment précis du retour à l'équilibre comporte une importante charge symbolique.

Dans son budget de 2009, le ministre le voyait en 2013. Ça passait à 2015 dans le budget de 2010. En 2011, le ministre reculait à toutes fins pratiques l'échéance d'un an, à 2014, avec un déficit prévu très proche de zéro, de 0,3 milliard. Dans son budget de 2012, il revenait à la cible de 2015, pour la repousser d'un an, à 2016, dans sa mise à jour économique d'octobre dernier, parce que le ralentissement avait fait fondre ses revenus.

Le malaise de M. Flaherty était toutefois évident. Tellement que même si les tableaux de sa mise à jour indiquaient noir sur blanc qu'il reportait l'objectif du déficit zéro d'un an, il a pris soin de ne pas le dire clairement. Le premier ministre Harper a d'ailleurs rapidement corrigé le tir pour exclure le report du déficit zéro. Ce rappel à l'ordre du chef et les pressions des éléments les plus rigoristes de son parti ont ramené M. Flaherty sur le droit chemin.

Cette démarche est assez idéologique parce que, malgré le déficit de 26 milliards pour l'année qui s'achève, la situation financière canadienne est bonne, exemplaire même, quand on la compare aux autres. Le Canada ne subit aucune pression des marchés pour se précipiter.

Par contre, l'idée voulant qu'il faille plutôt ralentir la lutte au déficit et stimuler l'économie, comme le souhaite le NPD, comporte aussi sa part de dogmatisme. Un pays qui a créé 336 000 emplois en 12 mois n'a pas à être en mode panique.

À cela s'ajoutent des considérations plus électorales. Les conservateurs veulent en finir avec la lutte au déficit avant les élections, prévues pour 2015. Pour soigner leur image de rigueur auprès de leur clientèle traditionnelle, mais aussi pour ne pas multiplier les mesures d'austérité déplaisantes au moment d'aller aux urnes.