Un groupe de citoyens a déposé en Cour supérieure une requête de recours collectif contre la Société des alcools du Québec, à qui elle reproche de gonfler les prix et d'avoir une marge bénéficiaire excessive qui pénalise les consommateurs.

La SAQ a pris la chose assez au sérieux pour retenir les services d'un éminent avocat connu pour ses talents de plaideur, Gérald Tremblay, du cabinet McCarthy Tétrault. Effectivement, l'enjeu soulevé par cette requête est majeur. Et même si je trouve qu'il est absurde de confier la vente du vin et de l'alcool à un monopole d'État, je vais prendre la défense de la SAQ dans ce dossier, parce que les conséquences d'une victoire de cette requête seraient désastreuses.

L'instigateur du processus, Jean-René Jasmin, affirme que les prix du vin sont exorbitants au Québec parce que la société d'État se réserve une marge bénéficiaire excessive. Il réclame donc que la SAQ soit soumise à un mécanisme de fixation des prix similaire à la Régie de l'énergie.

Il est très clair que la SAQ est une machine à sous pour le gouvernement du Québec. Mais les prix élevés de la SAQ sont une forme de taxation. C'est le gouvernement qui dicte sa politique de prix à sa société d'État en établissant à l'avance, dans son budget, le dividende que devra lui verser la SAQ.

En s'opposant aux prix élevés, dans une logique des droits des consommateurs, la requête s'oppose au fait que le gouvernement puisse choisir de taxer lourdement l'alcool. Et si l'on bloque les prix de la SAQ d'une façon ou d'une autre, les dividendes versés au gouvernement, prévus à 1,067 milliard en 2013-2014, fondront de façon radicale.

Pourtant, cela constitue un choix parfaitement acceptable pour une société, une taxe sur un bien qui n'est pas vraiment essentiel, progressive parce que la consommation augmente avec le revenu. On conteste un droit inaliénable de l'État.

C'est en fait un débat oiseux, parce que si le gouvernement, au lieu de réclamer un dividende, demandait à la SAQ de percevoir une taxe spéciale sur le vin, le résultat serait exactement le même et il n'y aurait aucune base pour le recours collectif.

Il faut poser la question autrement. On doit se demander si la méthode de perception choisie - un réseau d'État qui détient un monopole sur l'importation, la vente et la distribution - est la meilleure façon d'y parvenir. On fait souvent l'erreur de croire qu'on a besoin de ce monopole pour taxer les boissons alcoolisées. C'est tout à fait faux, comme on le voit avec la perception de la TVQ ou des taxes sur l'essence ou sur la bière.

Mais la machine de la SAQ est lourde, avec des frais d'exploitation élevés. Elle n'est pas soumise à l'impératif de mieux faire qu'impose la concurrence. Son système centralisé s'adapte moins aux consommateurs - moins d'écoute, moins de variété. Le monopole d'État est une mauvaise façon de faire du commerce de détail. Sinon, je me demande pourquoi on ne se dépêche pas de nationaliser toutes les épiceries du Québec!

Mais si on voulait privatiser la SAQ ou briser le monopole, par exemple par l'ouverture du marché à de petits cavistes, la réforme ne serait acceptable que si la nouvelle formule permet à l'État de recueillir les mêmes revenus. C'est parfaitement possible, comme le montre l'exemple albertain.

Et je suis sûr qu'on y gagnerait. L'État y trouverait son compte, et les consommateurs paieraient moins cher pour un service plus personnalisé et une plus grande possibilité de choix. Mais je n'en fais pas une bataille parce que, dans la culture de statu quo qui est la nôtre, ça créerait un «débat de société» disproportionné. Mieux vaut conserver nos énergies pour autre chose.