Il est difficile de discuter sereinement de la rémunération des médecins. Leur salaire est élevé, ce qui en fait des privilégiés de la société, qui font partie du fameux 1% des citoyens les plus riches. L'évocation de leur salaire provoque donc souvent un sentiment d'envie de la part des salariés moyens, teintée d'agacement, puisque ce sont eux, en tant que contribuables, qui paient la note.

Difficile, dans un tel contexte, de déterminer dans un débat public combien vaut le travail d'un médecin et quelle devrait être une rémunération juste et raisonnable.

Ce malaise, on l'a senti encore aux réactions qu'a suscitées la publication par l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) de données qui comparent la rémunération des médecins par province. En moyenne, les médecins québécois touchaient 253 539$ en 2010-2011. C'est évidemment élevé. Par contre, c'est moins qu'au Canada, où la rémunération moyenne est de 307 000$. D'un autre côté, l'augmentation de ce revenu a été plus élevée au Québec que dans l'ensemble canadien depuis cinq ans, tant et si bien que l'écart est passé de 25% à 18%.

Qu'est-ce qui est normal? Dans un premier temps, il faut accepter le fait que la rémunération des médecins soit élevée, étant donné la durée des études, le niveau des exigences, le degré de responsabilité lié à leurs fonctions, l'importance de leur rôle, la lourdeur de la charge de travail.

Mais il y a d'autres questions à se poser. Le véritable débat qui nous attend, ce n'est pas tant de savoir combien les médecins sont payés, mais comment on les paie, et pour quoi.

Sur le combien, il n'est pas vraiment possible de définir la valeur intrinsèque des services que rendent les médecins, une question qui a presque une dimension morale. On peut essayer de la définir de façon relative, à travers des comparaisons. Comparer avec ce que touchent les autres citoyens, au nom de l'équité, comparer aux autres professions, comparer à ce qui se fait ailleurs. Le résultat final dépendra aussi d'autres facteurs, comme les contraintes économiques et la capacité de payer, ainsi que le jeu des rapports de forces.

Dans le cas du Québec, la réflexion sur la juste rémunération des médecins a beaucoup reposé sur la comparaison avec les autres provinces, dont le système de santé est similaire au nôtre. L'écart important de revenu entre médecins québécois et canadiens a mené à des efforts de rattrapage qui expliquent les hausses des dernières années.

Il reste un écart parce que le Québec est l'une des provinces pauvres, et par conséquent une province où le coût de la vie est moins élevé et la capacité de payer de l'État, plus limitée. Pas étonnant, donc, que nos médecins soient parmi les moins bien payés, avant ceux de l'Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse.

Cette mécanique de la comparaison introduit toutefois une distorsion. Les salaires des médecins canadiens sont tirés vers le haut en raison de la proximité avec les États-Unis, pays où les dépenses de santé sont les plus élevées. La peur de voir nos médecins partir pour les États-Unis force les salaires canadiens vers le haut, dans un jeu de vases communicants qui affecte aussi le Québec, qui peut toutefois mieux y résister en raison de la mobilité moindre du corps médical.

L'important, c'est aussi le comment. Les données de l'ICIS indiquent que la rémunération à l'acte compte pour 75,7% de la rémunération des médecins québécois, une des proportions les plus élevées au Canada. Cette approche traditionnelle n'encourage pas l'émergence des nouvelles pratiques et n'encourage pas le système de santé à mieux s'organiser et à augmenter son offre de services et à réduire les attentes et les délais.