Si vous pouvez lire ces lignes ce matin, cela signifie que nous avons échappé au pire, et que la Terre tourne toujours autour du Soleil. Ou encore, bien sûr, que si les Mayas étaient capables de prédire le jour de la fin du monde, ils avaient du mal à préciser l'heure. La journée du 21 n'est pas terminée...

Mais cet Armageddon 2.0 - indigeste mélange de superstition, d'ignorance, de désarroi et d'hyperbole médiatique - n'aura pas été complètement inutile. Il aura entre autres rappelé que les médias sociaux sont capables du meilleur et du pire, et qu'ils peuvent aussi devenir de redoutables amplificateurs de la bêtise humaine.

Maintenant que cette menace est derrière nous, nous pouvons nous consacrer avec plus de sérénité à la célébration des Fêtes. Et nous occuper de choses plus sérieuses...

Comme les tribulations du sou noir. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, on s'en souvient, a annoncé dans son dernier budget que la pièce d'un cent disparaîtra le 4 février prochain. Une décision sage qui permettra sans doute au ministre de passer à la petite histoire. Les sous noirs ne disparaîtront pas vraiment, mais la Monnaie royale cessera d'en produire. Les transactions au comptant seront arrondies aux multiples de cinq cents, mais les cents poursuivront leur existence virtuelle pour les transactions par chèque ou carte de crédit.

Depuis le début, le ministre dit que cette opération permettra au gouvernement d'économiser 11 millions par année, parce que la production de chaque pièce coûtait 1,6 cent, plus que sa valeur intrinsèque. En plus, il fallait en produire et en produire parce que les gens les entassent et ne se donnent plus la peine de les utiliser dans leurs transactions.

Mais voilà que le ministère des Finances a rendu publique cette semaine une analyse bénéfice-coût qui révèle l'existence de coûts dont on n'avait pas tenu compte. Ce qui a mené plusieurs médias à conclure, à tort, que l'opération ne serait pas rentable.

Le coût imprévu, c'est que puisque la «cenne noire» disparaît, les gens vont vider leurs bocaux, cochons et autres fonds de tiroir pour retourner les pièces, et le gouvernement devra les rembourser. Le retour d'une bonne partie des six milliards de pièces en circulation pourrait coûter à l'État 38,3 millions d'ici six ans - auxquels il faut ajouter 27 millions en frais traitement et de manipulation.

Ces coûts sont supérieurs aux 42 millions que rapportera la fonte des pièces et la récupération du cuivre et du zinc. Il reste un trou, qui sera cependant compensé par les 11 millions annuels que l'on économisera en mettant fin à une production déficitaire. Ce qui rend toute l'opération rentable.

D'autant plus que ces calculs, aussi amusants soient-ils, restent oiseux. Parce que le véritable coût de maintenir une pièce qui ne vaut plus rien, ce sont les frais de gestion de ces millions de pièces par les commerces et les institutions financières, des coûts qu'une étude de Desjardins évaluait à 150 millions par année.

Mais l'étude fédérale nous montre que les décisions de politique publiques, même si elles paraissent simples, sont en général plus complexes qu'on le croit. Et qu'un des facteurs qui rend les choses compliquées, c'est la résistance au changement et la difficulté d'obtenir des consensus. Par exemple, cette nouvelle sur le fait que l'élimination du sou noir ne serait pas rentable semble trahir dans les médias anglo-saxons un attachement nostalgique.

En attendant, comme les sous noirs vivent leurs derniers jours, pourquoi ne pas s'en servir pendant les Fêtes, comme centres de table, comme éléments décoratifs et, qui sait, pour donner du poids aux bas de Noël?