On aurait dit que c'était arrangé avec le gars des vues. Le 12 juin, le Conference Board du Canada publiait une étude intitulée Un plan sud pour faire de Montréal la métropole qu'elle devrait être, qui parle de sa trop faible croissance, de son manque de moyens, de son incapacité à financer ses infrastructures.

Le 18 juin, une autre étude sur Montréal, cette fois-ci provenant de la chambre de commerce du Montréal métropolitain, à partir d'entrevues avec des dirigeants de grandes entreprises, souvent étrangères, conclut que la compétitivité de la métropole fait du surplace. L'étude cible quelques enjeux, comme l'éducation. Mais elle aussi parle des infrastructures. «L'état de nos infrastructures, notamment routières, représente un frein important.»

Et qu'est-ce qui arrive le 19 juin, le lendemain? Boum! Un pan de la rue Sainte-Catherine s'affaisse. Pas n'importe où. À l'intersection de l'avenue McGill College. Un affaissement sur la plus importante artère commerciale, juste au coin de la rue la plus prestigieuse du centre-ville. L'intersection sera paralysée par des travaux pendant des semaines.

Dans cette période agitée, où les expressions d'un sentiment anticapitaliste se sont multipliées, même chez nos humoristes pourtant pas démunis, je ne serais pas étonné que des esprits plus exaltés évoquent un complot. Un think tank de droite et un organisme patronal parlent de problèmes d'infrastructures, et comme par hasard, nos rues commencent à s'effondrer?

En fait, il n'y a pas de hasard. Plutôt une série noire. Un morceau de Sherbrooke s'était effondré quelques semaines plus tôt. Et un pan de Saint-Dominique, entre Maisonneuve et Sainte-Catherine, s'est affaissé hier. Depuis des semaines, Montréal était devenue la ville des casseroles. On risque maintenant de parler de la ville gruyère!

Le message que cela envoie est terrible. Celui de la décrépitude. Cela est injuste parce que Montréal n'est quand même pas une ville qui s'effondre ni au sens propre ni au sens figuré. C'est plutôt une ville qui n'arrive pas à déployer le dynamisme qui devrait être le sien.

Ces trous sont néanmoins un symptôme. Du fait qu'on a négligé Montréal dans le passé, qu'on n'a pas assez investi dans ses infrastructures, ce qui est en partie dû à une négligence historique de nos élus municipaux, mais aussi au sous-financement de la métropole par les gouvernements supérieurs, leur indifférence à l'égard de Montréal, surtout dans le cas de Québec.

On peut voir une autre manifestation de cette indifférence avec un autre symbole, moins spectaculaire qu'une chaussée qui s'affaisse, mais combien plus dramatique. Et c'est le taux de chômage.

En mai, le taux de chômage pour l'île de Montréal était de 10,6%. C'était le deuxième plus élevé au Québec, après la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. Le taux de chômage montréalais était 50% plus élevé que celui du reste du Québec, qui se situe à 7,1%.

On ne se rend pas compte à quel point cela constitue une anomalie. Les grandes villes jouent un rôle stratégique crucial, ce sont les moteurs de la croissance. Mais le moteur du Québec a des ratés. Sa croissance est plus faible que celle des autres grands centres urbains du Canada, nous rappelle le Conference Board. Et surtout, comme le montrent ces chiffres de chômage, elle est inférieure à celle du reste la province. C'est mauvais pour Montréal, mauvais pour le Québec.

Et derrière ces données peu rassurantes, l'indifférence. Avez-vous entendu un politicien provincial s'indigner en public du chômage montréalais, quelqu'un appeler à la mobilisation générale, quelqu'un proposer un plan d'action ou des mesures d'urgence, comme on le fait pour les régions quand elles vont mal?