Enfin. L'Unité permanente anticorruption a posé hier son premier geste spectaculaire en frappant à Mascouche, avec des perquisitions, 15 mises en arrestation, dont le maintenant très célèbre roi de la construction Tony Accurso, et 46 chefs d'accusation.

Ce coup d'éclat va certainement réduire les pressions qui se multipliaient sur l'UPAC, dont on déplorait la lenteur à agir. Mais il n'est pas pleinement satisfaisant, d'abord parce que cette opération policière ne nous apprend rien. Elle ne fait que porter des accusations contre des gens qui avaient déjà été identifiés par les médias.

Ensuite, parce que l'UPAC ne peut pas encore crier victoire. S'il a fallu tant de temps avant qu'elle porte des accusations, c'est essentiellement en raison de la difficulté d'obtenir des preuves solides lorsqu'il s'agit d'activités par définition opaques. N'oublions pas que les 14 personnes arrêtées hier sont innocentes jusqu'à preuve du contraire. La mesure du succès, dans ces dossiers, ne se mesurera pas aux arrestations, mais bien aux condamnations.

Il faut aussi noter, et c'est une autre source de malaise, qu'il y a un écart entre l'orientation qu'a prise le débat public et les informations factuelles dont on dispose. Dans l'opinion publique, la corruption dans la construction est largement associée au gouvernement libéral, un symbole qui sert de cri de ralliement à ses opposants. Une association que le premier ministre Charest a lui-même nourrie par son refus de tenir une enquête sur la question.

Mais sur le terrain, la plupart des révélations depuis deux ans ne portent pas sur la politique provinciale, mais sur la politique municipale - Mascouche, Boisbriand, ou encore Montréal et le scandale des compteurs d'eau - ou sur les pratiques syndicales - les liens entre la FTQ et Tony Accurso.

Est-ce à dire que le gouvernement provincial, peu importe qui le dirige, est au dessus de tout soupçon? Évidemment pas. Et il y aura une commission pour nous éclairer. La réticence des libéraux à la déclencher semble d'ailleurs indiquer qu'ils craignent d'être éclaboussés. Il y a d'ailleurs un organisateur libéral, Louis-Georges Boudreault, parmi les personnes arrêtées hier.

Jusqu'ici les éléments d'information qui touchent les politiciens provinciaux, libéraux ou péquistes, portent davantage sur le financement des partis politiques, par exemple les prête-noms. La loi électorale, sans doute trop angélique, a clairement été pervertie.

Le financement des partis qui, en principe, dans un monde idéal, devrait reposer sur un engagement citoyen est devenu un business dominé par tous ceux qui tournent autour de l'État dans l'espoir de retirer des faveurs. Un jeu que les partis politiques ont eux-mêmes encouragé en exerçant du chantage sur les consultants, les ingénieurs et les entrepreneurs pour qu'ils contribuent à leur caisse.

Ces pratiques sont condamnables. Les entorses aux règles de financement ouvrent la porte au favoritisme dans l'octroi de contrats. Ce qui constitue un grave problème. Mais il ne faut pas mettre tout dans le même panier. Il y a des degrés dans les manquements à l'éthique. Les entorses au financement électoral et le favoritisme ne sont pas de même nature que les crimes dont Radio-Canada et La Presse ont révélé l'existence depuis deux ans.

Jusqu'à nouvel ordre, c'est dans les villes qu'on a entendu parler d'enveloppes, de menaces, de fixations de prix, de pots de vin, d'élections clé en main. Et cela n'est pas si étonnant, parce que les villes peuvent facilement devenir des fiefs sans contrôle, avec des maires trop longtemps au pouvoir, des oppositions trop faibles. Et c'est dans les villes, sur le terrain, que peuvent se multiplier les relations de proximité des élus ou des fonctionnaires municipaux avec des vautours affairistes. Mais ce qui semble ressortir de tout ce qu'on sait jusqu'ici, c'est que le véritable cancer est au niveau municipal.