Les nouvelles économiques sont rarement drôles, encore moins dans des périodes de ralentissement, de rebondissements et d'incertitudes comme celle que nous traversons.

Mais parfois, ce monde sérieux et gris peut lui produire des épisodes comiques. Quand cela arrive, ça vaut la peine de le souligner. Cet intermède humoristique nous a été gracieusement fourni, cette semaine, par deux agences de notation, Moody's et Fitch.

Dans une entrevue au Wall Street Journal, des analystes de ces firmes spécialisées ont affirmé que le Canada allait trop vite dans ses efforts de réduction du déficit, et que cela pourrait avoir des effets économiques négatifs.

C'est vraiment le monde à l'envers! Moody's, le père fouettard de la rigueur financière, l'agence qui fait la leçon à tout le monde, qui menace de décote les pays délinquants, qui sème la terreur dans les officines des ministères des Finances, dit au Canada de mettre la pédale douce dans sa lutte au déficit!

Ce point de vue met le gouvernement Harper dans l'embarras, en le privant d'une importante caution morale pour son programme d'austérité. Il révèle aussi la vraie nature de ce gouvernement en montrant que les politiques du ministre des Finances, Jim Flaherty, ne sont pas des politiques économiques, mais des choix idéologiques.

L'argument de Moody's Investor Service est le suivant. Avec un déficit bas, quand on le compare à celui d'autres pays avancés, autour de 2% du PIB, il n'y a pas d'urgence. «De notre point de vue, dit l'analyste principal pour le Canada, Steven Hess, il y a de la marge de manoeuvre, et le faire trop rapidement a des effets négatifs et peut être contreproductif quand les revenus croissent plus lentement. Il y a un risque à la croissance s'ils vont trop vite.» De son côté, Shelly Shetty, analyste chez Fitch Ratings, ajoute que «vous n'avez pas à avaler une pilule extrêmement amère si vous n'êtes pas malade».

On peut comprendre le désir du gouvernement Harper d'éliminer rapidement le déficit. La culture du déficit zéro est bien installée au Canada. Elle trouve son origine dans la crise financière que nous avons connue il y a 20 ans, où nous avons appris qu'il est difficile de revenir à l'équilibre quand on s'est installés dans une situation déficitaire, et que la seule façon d'y parvenir, au plan politique, c'est de faire preuve de détermination et de fermeté.

Mais le contexte a changé. La croissance économique est plus faible que prévu. La croissance des revenus sur lesquels on comptait pour revenir à l'équilibre sera elle aussi plus faible. Cela a déjà forcé le ministre Flaherty à reporter d'un an le retour à l'équilibre, en 2016-2017. Cela ne suffira pas. Pour atteindre ses objectifs, le gouvernement devra augmenter ses efforts de compressions. Les agences de notation disent maintenant que ces compressions risquent de ralentir encore plus l'économie.

À cela s'ajoute une autre considération. Les conservateurs sont restés très vagues, tant dans le dernier budget que pendant la campagne électorale, sur la façon dont ils entendaient s'y prendre pour réduire leurs dépenses. Depuis, on découvre par bribes que ce sera brutal, avec des mises à pied massives et des coupures aveugles. L'expérience du passé a montré que ça ne marche pas. Au lieu de couper à la tronçonneuse, il est plus sage de prendre son temps et de privilégier des réformes à long terme.

Mais ce qu'on peut soupçonner, c'est que l'élimination du déficit soit un prétexte pour le gouvernement conservateur, une occasion de faire le grand ménage et de mettre le gouvernement fédéral à sa main. Et donc que l'idéologie va passer avant le bon sens économique.