«Pas de français, pas de contrat»! C'est ainsi que l'opposition péquiste, à travers son critique en matière de langue, François Rebello, a réagi aux nouvelles troublantes sur l'utilisation de l'anglais dans les sièges sociaux d'entreprises montréalaises.

La formule est lapidaire. Elle signifie que, sous un gouvernement péquiste, les entreprises qui ne respectent pas la lettre et l'esprit de la loi 101 pourraient perdre leurs contrats gouvernementaux. Une solution qui pourrait avoir un effet boomerang. Pas de français, pas de contrats? Le résultat pourrait bien être: pas de sièges sociaux!

Le fait que de hauts dirigeants sociétés comme la Caisse de dépôt, Bombardier ou la Banque nationale puissent être des unilingues anglophones ou que des secteurs de ces entreprises fonctionnent en anglais à Montréal, comme l'a révélé La Presse, est très agaçant.

Mais il faut être conscient qu'il s'agit là d'un problème linguistique nouveau, qui n'est pas de même nature que les enjeux qui ont mobilisé le Québec il y a quelques décennies, et qui ne peut pas être résolu par les mêmes vieilles méthodes.

Le grand combat linguistique que le Québec a mené cherchait à corriger une situation de déséquilibre où une minorité dominante anglophone pouvait imposer sa langue à la majorité - au travail, dans l'affichage, dans la sphère publique - et pouvait ainsi exercer un pouvoir d'attraction, notamment sur les immigrants. Les lois linguistiques visaient à combattre l'injustice et à assurer la pérennité et l'épanouissement du fait français.

La pression actuelle ne provient pas des Anglais, comme autrefois, mais de l'anglais, qui s'impose partout dans le monde comme langue de communication internationale, dans les activités économiques, en culture, en recherche universitaire. Ce problème n'est pas unique au Québec, il est universel, quoiqu'il prenne ici une coloration particulière.

Paradoxalement, ce qui arrive est en quelque sorte la rançon du succès. On ne parle pas d'entreprises extérieures qui imposent le français à leurs employés, mais de compagnies canadiennes françaises où l'anglais prend plus de place parce qu'elles sont devenues des multinationales, qu'elles prennent de l'expansion au-delà de nos frontières. L'anglais y devient nécessaire parce que c'est la langue de communication avec les clients, les marchés extérieurs, les fournisseurs, les partenaires.

Ce problème est également d'une autre nature parce que c'est un irritant plutôt qu'une menace. Il n'affecte qu'une petite partie de la main-d'oeuvre, surtout des professionnels scolarisés, qui ne sont pas touchés dans leur identité parce qu'ils doivent communiquer en anglais et qui ne risquent pas l'assimilation. L'anglais est alors un outil. Pas un mode de vie ou un symbole de réussite.

Que faire, quand on sait que cette pression de l'anglais va se poursuivre? Nos grandes entreprises ne pourront pas se développer à travers le monde en restreignant leur embauche à des francophones ou en créant des barrières linguistiques.

Ce n'est pas une tendance que l'on peut contrer par des menaces, une chasse aux sorcières ou une application rigoriste de la loi 101, car les normes bureaucratiques n'arriveront pas à s'adapter à une réalité en changement perpétuel. Tout ce qu'on réussirait, c'est de freiner le développement des entreprises ou de les inciter à déplacer hors du Québec les activités où l'anglais est incontournable.

Par contre, on ne doit pas baisser les bras. Si les francophones ne défendent pas l'espace du français, personne ne le fera à leur place. Il y a, à cet égard, une obligation morale de nos dirigeants d'entreprise d'assurer une présence maximale du français, de définir des balises pour identifier avec soin les situations où l'anglais est incontournable, de s'assurer que l'apprentissage du français pour les recrues unilingues anglophones ne soit pas une farce. Car réalisme ne signifie pas complaisance.