Un étrange match se déroule dans le monde de la santé, un match à quatre qui met aux prises l'actuel ministre de la Santé, Yves Bolduc, deux de ses prédécesseurs, Philippe Couillard et François Legault, et celui qui voudrait bien lui succéder, Gaétan Barrette.

L'enjeu est majeur, le développement de la première ligne, comment s'assurer que les Québécois aient accès à un médecin de famille. Mais le débat vole bas.

C'est le Dr Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes, qui a ouvert le bal, au tout début de ce mois, en reprenant un thème qui lui est cher. Selon lui, il n'y a pas de pénurie d'omnipraticiens. Le problème, c'est que les médecins de famille ne travaillent pas assez: «Un médecin de famille qui travaillerait autant qu'un spécialiste gagnerait le même salaire.»

L'ancien ministre libéral de la Santé, Philippe Couillard, en réponse à une question d'un journaliste, a ensuite exprimé son désaccord avec le Dr Barrette: «C'est une affirmation totalement gratuite... Il faut se demander si le système dans lequel nos médecins pratiquent donne envie à ceux qui ont un niveau d'activité moyen d'aller un peu plus loin. C'est ça qu'il faut se poser comme question.» Dans cette logique, il est favorable à un changement du mode de rémunération, pour tenir compte de la performance.

Le Dr Barrette a répliqué par l'insulte, dans une lettre au Devoir: «Il est intéressant de constater qu'il est plus facile de commenter la situation du système de santé quand on est consultant pour une firme privée en santé que d'agir lorsqu'on est la barre de ce ministère».

Yves Bolduc, sans doute pour rappeler que c'est lui le ministre, s'en est mêlé, critiquant durement la gestion de François Legault à la Santé et ajoutant que ce serait pire avec le Dr Barrette, proche de la Coalition avenir Québec. Il en a profité pour promettre que tous auraient leur médecin de famille d'ici 2016. Une promesse irresponsable, même si les mesures des dernières années, l'augmentation des cohortes d'étudiants et la création des Groupes de médecine familiale permettent de réels progrès. Mais encore là, le Dr Barrette a réagi par l'insulte, en multipliant les épithètes à l'égard du ministre: «père Noël», «Halloween», «Don Quichotte», «ridicule».

Le quatrième larron, François Legault, est resté discret. Mais on sait qu'il ne dit pas la même chose que M. Barrette. Il ne fustige pas les omnipraticiens et propose plutôt une démarche proche de celle de M. Couillard: «Avec une nouvelle formule de rémunération, je crois qu'il est possible que chaque Québécois puisse éviter les urgences.»

Le chef de la CAQ se retrouve toutefois, dans ce dossier, avec un gros problème sur les bras, probablement son premier vrai test de leadership. Une rumeur persistante, que le principal intéressé ne nie pas, veut que le Dr Barrette devienne ministre de la Santé d'un possible gouvernement caquiste. Le Dr Barrette parle-t-il au nom des membres de sa fédération ou est-il déjà en pré-campagne? Il y a là une confusion des genres qu'il faudrait dissiper. Mais surtout, il y a un problème de cohérence dans le discours de la CAQ.

François Legault est-il d'accord avec la dynamique d'affrontement du Dr Barrette? Ou s'agit-il plutôt d'une croisade personnelle de son conseiller? Si tel est le cas, il faudrait qu'il remette rapidement le président de la FMOQ à l'ordre, en se souvenant que les personnages publics bouillants et à l'ego démesuré travaillent difficilement en équipe et ont du mal à faire un passage harmonieux en politique. Souvenons-nous de Marc Bellemare.