Les gens sont écoeurés par le gaspillage de fonds publics. Pas seulement la corruption et la collusion. Mais aussi l'absence de contrôle des dépenses, les décisions mal avisées, les projets coûteux motivés par des calculs politiques. Mais qu'arrive-t-il quand un gouvernement décide d'être rigoureux dans ses choix? La réponse: on va encore chialer.

On en a eu un très bel exemple il y a dix jours quand Ottawa a annoncé qui avait décroché ses deux super-contrats de construction maritime. Les Chantiers maritimes Irving ont remporté le gros lot, 25 milliards sur 30 ans pour la construction de 21 navires de combat, tandis que Seaspan Marine, de Vancouver, s'est vue confier 8 milliards pour la construction de navires civils. Ce fut la colère et la consternation à Lévis, parce que le chantier de la Davie n'avait pas été retenu.

Et pourtant, le gouvernement fédéral, dans ce dossier, a fait preuve d'une rigueur exemplaire. Il a confié l'évaluation des soumissions à un organisme indépendant, le Secrétariat de la stratégie nationale d'approvisionnement en matière de construction navale. Ce secrétariat, dirigé par des hauts fonctionnaires, à l'abri des interventions politiques, a fait appel à des consultants extérieurs et mis sur pied un système de pointage où plusieurs comités indépendants les uns des autres notaient les projets.

Cette rigueur s'explique en bonne partie par la crainte des conservateurs de supporter l'odieux d'un choix qui ferait nécessairement des mécontents. On l'a oublié ici, mais dans l'Ouest, la décision du gouvernement Mulroney de confier l'entretien des F-18 à Montréal, plutôt qu'à Winnipeg, avait provoqué une crise politique qui laisse encore des traces.

Peu importe les motivations, le processus était sérieux. Cela n'a pas empêché l'opposition péquiste d'accuser le gouvernement «d'incompétence crasse», incapable de défendre le Québec à Ottawa. À Ottawa, le NPD a accusé le député conservateur Steven Blaney de ne pas avoir défendu son comté. Certains ont conclu que les conservateurs punissaient le Québec pour avoir voté pour le NPD.

Dans tous les cas de figure, ces réactions reviennent à faire l'apologie de la magouille politique, où les grands projets gouvernementaux doivent être conçus en fonction des pressions politiques, des calculs partisans et du lobbying régional.

Il faut dire que la région de Québec maîtrise l'art d'exercer des pressions politiques pour assurer son développement. C'est encore plus vrai de la Davie, le chantier qui peut compter sur la plus grande cale sèche au Canada, mais qui est en respiration artificielle depuis plus de vingt ans, et qui survit péniblement d'une crise à l'autre et d'un sauvetage gouvernemental à l'autre. Ce chantier, en faillite cet été, ne pouvait même pas soumissionner pour ces grands contrats, parce qu'il n'était pas solvable. Ce n'est qu'à la toute dernière minute qu'il a pu compter sur un nouvel acquéreur, Upper Lakes, de l'Ontario, qui s'est associé à SNC-Lavalin. Mettons que ça partait mal.

Un argument un peu plus subtil consiste à dire que ces contrats fédéraux de construction navale, les plus importants depuis la dernière guerre, auraient dû être divisés entre les trois chantiers, pour répartir la manne et ainsi mieux soutenir cette industrie en difficulté. Au-delà des problèmes techniques que cela soulève, ce n'est pas du développement, c'est une politique de redistribution. Oui, l'État doit utiliser ses investissements comme un levier, mais pas pour faire du BS économique.

Et dans ce cas-ci, on a pris connaissance, il y a quelques jours, du pointage obtenu pour chaque chantier. Pour le projet de navires militaires, Halifax a obtenu 82,8%, contre 74,9% pour Vancouver. Pour les navires civils, Vancouver, avec une note de 76,8%, a déclassé nettement Lévis, loin derrière avec 63,2%. La réponse est là.