Le Québec a son Plan Nord. Bien des gens voudraient qu'il ait aussi un Plan Sud. Mais ce qui lui manque vraiment, c'est un « Plan propre », pour que ses efforts pour lutter contre la gangrène dans la construction et dans l'octroi des contrats publics constituent un véritable plan, qui aurait la même cohérence, la même intensité et la même visibilité que celui qui veut nous ouvrir les régions nordiques.

Cette image, elle m'est venue en regardant hier le témoignage très attendu de Jacques Duchesneau en commission parlementaire. En raison de la gravité de ce qu'il a découvert dans le cadre des travaux de l'Unité anticollusion qu'il dirige, il est arrivé à la conclusion que le Québec avait besoin d'une véritable mobilisation pour parvenir à assainir le monde de la construction.

Cette mobilisation, on ne l'a pas. Une enquête publique ne suffirait pas, en soi, à créer cette mobilisation. Et comme les débats politiques se sont cristallisés sur cette enquête publique - on l'a encore vu hier quand les parlementaires ont consacré beaucoup d'énergie à discuter la formule d'une enquête, à huis clos ou pas - on a fini par oublier qu'un tel exercice ne serait pas une solution magique, mais plutôt un des outils parmi une palette d'intervention.

Une commission a en effet des limites, notamment les trop longs délais avant qu'elle produise ses conclusions, et le fait qu'elle est l'équivalent politique de la téléréalité, qui nourrit le besoin des citoyens de voir les méchants, d'assister à leur humiliation. Mais cet exercice est nécessaire.

Dans un contexte de grande méfiance des citoyens à l'égard du monde politique, une commission, en exposant un système, donnerait aux gens le sentiment de participer au processus d'assainissement, d'avoir une prise sur les enjeux. C'est essentiel, car il ne peut pas avoir de mobilisation sans participation des citoyens, sans que ceux-ci soient informés, sensibilisés et impliqués.

Mais des révélations, aussi juteuses soient-elles, ne sont pas des solutions. Notamment parce que dans ce dossier, tout ne se ramène pas à mettre les bandits en prison. Il faut casser un système, modifier les pratiques, changer la culture, ce qui est plus technique et certainement moins spectaculaire que des arrestations au petit matin.

Et s'il faut reprocher au premier ministre Charest d'avoir refusé la tenue d'une enquête publique, et il en paiera sans doute le prix, il mérite un autre reproche, à mon avis plus sérieux encore. Et c'est de ne pas avoir mis en place une mécanique à la hauteur de la gravité du problème, ce qui était d'autant plus nécessaire qu'il ne voulait pas d'une commission d'enquête.

Pour assainir cette industrie, il faut s'attaquer à plusieurs fronts, le financement politique et le favoritisme, la collusion et les abus dans l'octroi et la réalisation de contrats publics, la pénétration du crime organisé. Il faut aussi agir rapidement. Le gouvernement Charest a pris plusieurs initiatives à cet égard, avec la modification des règles du financement politique, l'Unité permanente anticorruption, l'Unité anticollusion, les changements à la Commission de la construction, dont un des résultats tangibles est le rapport de M. Duchesneau.

Mais une série de gestes ne constituent pas un plan. On a senti un flottement, notamment avec le message d'indifférence et d'insouciance qu'a lancé Jean Charest quand il a avoué ne pas avoir lu ce rapport. On sent aussi du flou dans la panoplie des outils déployés. Qui fait quoi ? Qui dépend de qui ? Qui décide ? Quel ministre est responsable de quoi ?

Et c'est ça qui manque. Un véritable plan, compréhensible, avec des responsables, des objectifs, des mécanismes de reddition de compte. Et surtout, l'expression d'une volonté ferme qui convaincrait les Québécois que l'opération propreté constitue une véritable priorité.