J'étais en vacances au Portugal, au début juillet, quand l'agence de notation Moody's a reculé de quatre crans la cote de crédit de ce pays pour ramener ses obligations au statut de junk bonds. J'ai pu voir de près la stupeur et la colère des Portugais et des Européens.

J'étais en vacances au Portugal, au début juillet, quand l'agence de notation Moody's a reculé de quatre crans la cote de crédit de ce pays pour ramener ses obligations au statut de junk bonds. J'ai pu voir de près la stupeur et la colère des Portugais et des Européens.

Cette condamnation surprise du Portugal a déclenché en Europe un mouvement de contestation des agences de crédit. Le commissaire européen aux services financiers a parlé d'un resserrement du contrôle de ces agences, on a aussi évoqué la possibilité de créer une agence de notation européenne.

Dans tous ces réflexes de colère, il n'y a pas qu'un sursaut de fierté chauvine ou un réflexe de tirer sur le messager. Il y a des questions à se poser sur le rôle des agences, sur leur façon de fonctionner, plus particulièrement à l'égard de l'Europe.

La sévérité du jugement de Moody's sur le Portugal étonnait, surtout quand on compare la situation de ce pays avec celle de l'autre pays dans le collimateur des agences, la Grèce. Le Portugal n'a pas falsifié ses chiffres. Il n'est pas en faillite. Sa dette est élevée, à 106% du PIB, mais nettement moins que celle de la Grèce. Il a dû faire appel à l'Union européenne et au Fonds monétaire international pour rencontrer ses obligations, une aide de 83 milliards d'euros.

Mais la différence entre les deux pays, c'est le sérieux des efforts de redressements. Pendant que le gouvernement grec est paralysé, déchiré par une crise sociale, le Portugal a fait le choix de la rigueur. Les élections de juin ont remplacé le gouvernement socialiste minoritaire par un gouvernement de centre-droit, qui détient une solide majorité, et qui a été élu sur une plateforme d'austérité.

Le nouveau premier ministre, Pedro Passos Coelho, s'est engagé à réduire le déficit de 9% à 3% du PIB d'ici 2013, et même à aller au-delà des exigences de l'UE et du FMI. La population se résigne. Les décisions difficiles ont déjà commencé à pleuvoir -- abandon d'un TGV vers Madrid, imposition du treizième mois, taxe sur ceux qui évitent l'impôt.

Moody's est allée pas mal vite pour conclure que ces efforts ne porteraient pas fruit. Surtout que son jugement, qui repose en partie sur la faible croissance du pays, contient un troublant raisonnement circulaire: on s'inquiète du coût élevé du financement pour le Portugal, et on décrète une décote qui empirera la situation.

Le jugement des agences sur des États souverains repose sur un double processus. Une analyse financière froide. Et une évaluation politique des capacités d'un pays de faire les bons choix. C'est là qu'on sent un flottement, qu'on subodore une lecture superficielle des dynamiques politiques européennes et une tendance un peu méprisante à l'amalgame de tous les pays du sud du continent. Un manque d'objectivité aggravé par l'évident parti pris contre l'euro qui caractérise la culture financière anglo-américaine.

Ajoutez à cela le fait que les agences de notation ne sont pas des organismes sans but lucratif. Elles ont un marché à reconquérir après leur indicible complaisance à l'égard des titres toxiques qu'elles cotaient triple A. Ça donne les choses comme le geste puéril de Standard and Poor's qui a rabaissé la cote du gouvernement américain dans un geste qui relève davantage du marketing que de l'analyse financière fine.

Il ne fait pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Ces agences jouent un rôle essentiel. Mais elles ne sont pas omniscientes. Elles peuvent jouer un rôle néfaste quand leurs jugements rapides nourrissent les rumeurs et les jeux spéculatifs, comme c'est le cas en Europe, et aggraver la crise actuelle.