Est-ce que les gens se font avoir quand, du jour au lendemain, leur plein d'essence leur coûte six dollars de plus? Évidemment qu'ils se font avoir. Il y a un racket de l'essence. Mais ils sont impuissants. Leurs dirigeants aussi. Même le président Obama, un homme qui détient un pouvoir certain, n'y peut pas grand-chose, à part exprimer son irritation.

Quand les prix subissent une hausse spectaculaire, les représentants des pétrolières ont toujours une excellente explication, que ce soit un coup fourré de Kadhafi, un ouragan en Louisiane ou la fermeture temporaire d'une raffinerie dans l'est des États-Unis.

C'est presque une forme d'art, mais j'ai du mal à les croire. Les concepts utilisés, comme le coût d'acquisition, sont théoriques et largement fictifs, notamment parce que l'essence qui se trouve déjà à votre station-service et que vous verserez dans votre réservoir a été achetée, raffinée et acheminée avant l'évènement que l'on évoque pour justifier la hausse de son prix. Et il y a trop de jupons qui dépassent, comme les écarts inexplicables d'une ville à l'autre, ou les hausses soudaines la veille d'un long week-end.

Les abus sont possibles parce que le marché de l'essence n'est pas un marché normal. La nature même du produit empêche les gens de se comporter en consommateurs avertis. Ils ne peuvent pas profiter des rabais pour acheter à l'avance, ils ne peuvent pas stocker l'essence, ils ne peuvent pas vraiment remettre leur plein à plus tard quand leur réservoir est vide, ils ne peuvent pas se tourner vers une alternative.

Que faire? Personne n'a trouvé la recette magique. Les ministres s'agitent pour donner l'impression qu'ils font quelque chose, les partis d'opposition en remettent. Mais le monde politique est impuissant, parce que les solutions en apparence simples, comme le contrôle ou le plafonnement des prix, ont des effets pervers.

De toute façon, ces mesures ne pourraient régler qu'un aspect de la question, les fluctuations soudaines et les écarts suspects. Cela ne changerait rien au problème de fond, celui qui préoccupe le plus les citoyens, le niveau élevé des prix.

Le prix du pétrole et de ses sous-produits va continuer à augmenter au fil des ans, probablement de façon sensible, parce que la demande des pays émergents exerce une pression, et que les nouvelles sources d'hydrocarbures sont de plus en plus coûteuses. Contre cela, il y a une seule parade, et c'est de réduire notre dépendance, en choisissant des véhicules moins énergivores ou en réduisant la place de l'automobile.

N'oublions pas non plus que les gouvernements sont largement responsables du prix élevé de l'essence. Ce produit est extrêmement taxé - taxe d'accise fédérale de 10 cents, taxe sur les carburants de 16,2 cents, taxe spéciale à Montréal de 1,5 cent et, par dessus, TPS de 5% et TVQ de 8,5%. Et ça va continuer à augmenter, entre autres pour des raisons environnementales.

Enfin, les fluctuations du prix du brut sont inévitables, parce qu'il s'agit d'une industrie mondiale, sensible à la conjoncture économique, dont l'offre peut être perturbée, et qui comporte un degré élevé de risque. Ce qui est moins acceptable, c'est quand les jeux spéculatifs exacerbent ces fluctuations. Mais pour s'attaquer aux méfaits de la spéculation, il faudra de complexes stratégies supranationales.

Le seul domaine où l'on peut intervenir, c'est pour contrer les anomalies au niveau de la vente de détail. Les particularités de cette industrie et la vulnérabilité des consommateurs justifient que l'on mette en place des mécanismes pour compenser les déficiences du marché. Mais la palette des outils est limitée - un encadrement serré, des mécanismes de surveillance, pour imposer la transparence et pour pointer du doigt l'industrie quand elle ne se comporte pas en bon citoyen.