Demain après-midi, le ministre canadien des Finances, Jim Flaherty, lira son discours du budget à la Chambre des communes sans savoir s'il sera adopté un jour. Le scénario politique le plus plausible étant que les partis de l'opposition le rejetteront pour déclencher des élections générales.

Il y a là un paradoxe. Rien ne permet de croire que ce budget puisse contenir des éléments qui justifient le renversement du gouvernement conservateur, ni qu'il contiendra des idées scandaleuses ou des mesures inacceptables. Ce sera plutôt, en toute logique, le prolongement d'une démarche économique et financière qui a déjà été définie dans le budget du printemps dernier, et que la Chambre des communes n'avait pas rejetée.

Le budget de M. Flaherty sera donc une victime collatérale du climat politique, de l'alignement des astres qui amène les quatre partis à conclure que le temps est venu pour un autre affrontement électoral. D'autres enjeux justifieraient davantage que les partis de l'opposition chassent les conservateurs, comme tout ce qui touche à l'intégrité et au respect de l'institution parlementaire. Dans ce contexte, le budget n'est rien d'autre qu'un prétexte.

Le fait que le contenu du budget conservateur ne soit pas vraiment l'enjeu explique pourquoi les débats qui l'entourent sont parfaitement surréalistes. Les conditions posées par les partis de l'opposition pour donner leur appui au budget sont bien davantage des slogans, des formules pour renforcer le «branding» de chacun des partis avant la campagne que l'on sentait venir.

La marque libérale, c'est le retour au centre. Et la façon de l'illustrer, c'est une objection vigoureuse à une autre baisse de l'impôt sur les profits des sociétés qui, après être passé de 18,5% à 16,5% cette année, baissera de 16,5% à 15% en janvier prochain. Pas pour des raisons idéologiques: l'idée de cette baisse vient de Paul Martin et les libéraux ne se sont pas opposés non plus à cette mesure annoncée par les conservateurs il y a trois ans. Les libéraux croient plutôt que ce n'est pas le moment de baisser cet impôt quand on sabre les services pour réduire le déficit. Ce débat sur le «timing» de cette mesure fiscale constitue un enjeu bien mince pour provoquer des élections, mais il sert à présenter Michael Ignatieff comme un allié des familles ordinaires et un ennemi du grand capital.

La marque néo-démocrate, c'est le populisme de gauche. Jack Layton ne fait plus de l'impôt sur les profits un enjeu électoral. Sa condition pour appuyer le budget est maigrichonne, ce qui illustre le peu d'appétit du NPD pour une campagne. Il s'agit de l'abolition de la TPS sur les factures de chauffage. Ce petit cadeau pour les démunis s'inscrit dans une lecture très étrange que M. Layton fait du contexte économique, lorsqu'il affirme que les Canadiens souffrent encore de la récession.

La marque bloquiste est toujours la même, la défense des «intérêts» du Québec. Gilles Duceppe appuiera le budget conservateur si le Québec reçoit son dû, avec une longue liste d'épicerie de 5 milliards de dollars, qui remonte même aux dépenses de la crise du verglas en 1998. Elle comporte un élément nouveau, les 2,2 milliards pour l'harmonisation de la TVQ, qui se réglera sans doute sans l'aide du Bloc québécois.

Et la marque conservatrice? M. Flaherty aurait pu se borner à défendre sa gestion. Mais non. Partisan à l'extrême, le ministre affirme qu'une coalition Ignatieff-NPD-Bloc québécois détruirait le pays. Rien de moins.

Morale de l'histoire? Le budget sera sans doute le point de départ d'une campagne électorale. Mais cela ne signifie pas pour autant que la campagne nous réserve un débat intelligent et éclairé sur les grands enjeux économiques.