Lorsque la Ville a vendu l'immeuble de la gare Viger à un promoteur immobilier, pour une somme de 9 millions de dollars, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, a demandé que l'on ne fasse pas allusion au fait que l'évaluation municipale de cet immeuble atteignait 14,7 millions.

Lorsque la Ville a vendu l'immeuble de la gare Viger à un promoteur immobilier, pour une somme de 9 millions de dollars, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, a demandé que l'on ne fasse pas allusion au fait que l'évaluation municipale de cet immeuble atteignait 14,7 millions.

C'est ce que révélait La Presse lundi. L'information est rigoureusement exacte. Mais quelles conclusions peut-on en tirer? Voilà le genre d'histoire que l'on peut retourner à l'envers, comme une crêpe. On peut y voir un cas de favoritisme où le maire retourne l'ascenseur à un promoteur qui a contribué à la caisse de son parti. Ou encore, on peut y voir une conséquence perverse d'une culture de l'immobilisme où les efforts de développement de notre ville deviennent un chemin de croix.

La plupart des Montréalais ignoraient l'existence de la gare Viger. Cet immeuble patrimonial, à la fois gare et hôtel au tournant du siècle, signé par le même architecte que le Château Frontenac, était pratiquement oublié: on ne lui trouvait pas d'acheteur, il n'avait plus de vocation jusqu'à ce que la ville y loge son service de travaux publics.

On s'est soudainement intéressé à la gare il y a trois ans, quand un groupe a proposé d'en faire le coeur d'un projet de 400 millions, avec hôtel de luxe, résidences, centre commercial. En principe, une telle initiative aurait dû être saluée, pas seulement en raison de l'importance de l'investissement, mais parce qu'elle sortait la gare Viger des boules à mites et qu'elle contribuait à régénérer une zone urbaine qui en a bien besoin. Mais le projet a mal été accueilli, comme c'est le cas pour tout projet de développement à Montréal.

Dès le départ, le prix de vente de l'immeuble a été au coeur du débat, notamment de la part de l'infatigable Richard Bergeron, le chef de Projet Montréal, qui dénonçait le fait que la ville vende ses actifs au rabais. Et estimait que la gare valait 40 millions.

Quelle est la valeur d'un immeuble dont personne ne veut, qui n'a pas d'acheteur, dont les terrains sont contaminés, qui ne respecte pas les normes et dont l'utilisation sera compliquée par le fait qu'il a une valeur patrimoniale? Un immeuble ne vaut 40 millions que si quelqu'un est prêt à mettre ce prix. Ce qui n'a jamais été le cas.

La valeur de l'évaluation municipale n'est pas non plus d'un grand secours. L'évaluation, qui existe à des fins fiscales, devient un concept abstrait dans le cas d'un immeuble municipal qui ne verse pas de taxes, et dont la valeur ne peut pas être validée par des transactions.

Quand la ville cède un immeuble municipal, ce qui compte, ce n'est pas nécessairement le prix de vente, mais le résultat, dans ce cas-ci la valeur et la qualité du projet. Si, en vendant 9 millions un immeuble qui - très théoriquement - en vaut 14, on assure un investissement de 400 millions, la transaction peut être une excellente affaire, et le prétendu cadeau devient plutôt un levier. Le vrai débat devrait plutôt porter sur la qualité du projet et son insertion dans un développement harmonieux de la ville. Un test que ce projet avait d'ailleurs passé avec succès.

Le maire aurait pu et dû expliquer cela. Il aurait dû mettre tous les chiffres sur la table. Il ne l'a pas fait. Pourquoi? Probablement, par peur de ne pas être compris et d'être dénoncé, comme le veut notre culture de méfiance face à tout ce qui ressemble à du développement. M. Tremblay a eu tort, parce qu'il faut faire le pari de la transparence, même quand elle est politiquement coûteuse.