Montréal est une grande ville. Elle a la taille d'une petite province. Son budget de 4,5 milliards est trois fois plus gros que celui de l'Île-du-Prince-Édouard, la moitié de ceux du Nouveau-Brunswick ou de la Nouvelle-Écosse.

Mais quand cette grande ville dépose son budget, le débat ressemble à celui que l'on retrouverait dans un village ou une banlieue. On s'inspire d'une grille d'analyse municipale classique qui ne devrait pas s'appliquer à une métropole. À peu près tout le monde, avec une belle unanimité, s'est indigné d'une hausse des taxes de 4,2-4,3%.

Or, dans son dernier budget, le ministre québécois des Finances, Raymond Bachand, prévoyait que les revenus autonomes, ceux qui ne proviennent pas de transferts fédéraux, augmenteront cette année de 4,4%. Personne n'a protesté. Pourquoi, dans le cas du maire Gérald Tremblay, tout le monde grimpe aux rideaux?

Cela s'explique en bonne partie par la différence entre les fiscalités provinciale et municipale. Au niveau provincial, les deux tiers des revenus fiscaux de 44 milliards proviennent de l'impôt sur le revenu des particuliers et de la taxe de vente. Dans les deux cas, ça grimpe automatiquement. L'impôt sur le revenu augmente parce qu'il y a plus d'emplois et que les salaires grimpent, la taxe de vente augmente grâce à l'inflation et à la hausse de la consommation. Cette année, malgré les difficultés économiques, les recettes de l'impôt sur le revenu augmenteront de 6% et celles de la TVQ de 3,8%.

L'argent rentre tout seul, sans que le ministre des Finances n'ait à poser le moindre geste. Le gouvernement du Québec dispose ainsi, année après année, d'une marge de manoeuvre additionnelle sans coût politique.

Au niveau municipal, c'est tout à fait différent. Environ 60 % des revenus proviennent de la taxe foncière. Elle est fixe, elle n'augmente pas d'une année à l'autre avec la croissance économique. Pour pouvoir compter sur des revenus additionnels, la ville doit poser un geste, soit en faisant grimper son taux de taxe, soit en profitant, tous les trois ans, des hausses de valeur foncière lors du nouveau rôle d'évaluation. Dans les deux cas, parce que la hausse des revenus nécessite une intervention de l'administration municipale, ce sera le tollé.

Il y a là, pour une ville, une double contrainte. La première est fiscale, des revenus qui ne profitent pas naturellement de l'activité économique. Et l'autre est politique. Cela constitue un carcan qui contribue à rendre les grandes villes ingérables.

On peut aller plus loin. En toute logique, on ne peut parler d'augmentation du fardeau fiscal que lorsque la ponction augmente plus vite que la richesse collective. Ce ne sera pas le cas à Montréal, puisqu'en 2011, son PIB nominal augmentera de 5,5% en 2011.

Dans le débat public, on impose même à la ville une norme implicite, que les dépenses et les taxes ne devraient pas augmenter plus vite que l'inflation. Cette doctrine mène à un gel de l'activité municipale, et même à une réduction, puisque bien des postes de dépenses augmentent plus que l'inflation, notamment la masse salariale d'une fonction publique municipale surpayée, sur laquelle la ville n'a aucun contrôle.

Je ne veux pas défendre le budget du maire Tremblay. Mais tout simplement rappeler qu'il est difficile d'imaginer que l'on puisse améliorer les services municipaux, soutenir la culture, développer les transports en commun, positionner la ville au plan économique tout en gelant les revenus. On ne peut pas à la fois vouloir plus et s'indigner des hausses de taxes.