Le message que les citoyens ont envoyé par l'entremise de notre sondage CROP est sans appel. Au total, 83% d'entre eux croient que le Québec est corrompu. Ils ne font pas confiance aux politiciens pour faire le nettoyage. Et si leur colère est largement dirigée contre le gouvernement Charest, qui souffre d'un taux d'insatisfaction record, elle affecte l'ensemble de la classe politique.

On a un peu perdu les pédales. Il faudrait respirer par le nez et retrouver un sens des proportions. En commençant par regarder ce qui se passe ailleurs pour mettre les choses en perspective, que ce soit la corruption institutionnalisée du système politique américain où les millions des lobbies peuvent carrément acheter des votes, ou encore l'affaire Karachi en France, avec son système de pots-de-vin pour la vente d'armes. Sans vouloir banaliser les choses, ce qui se passe ici, c'est de la petite bière.

Pourtant, bien des Québécois ont maintenant l'impression que leur province est une espèce de Sicile septentrionale. Cela tient en partie au refus de Jean Charest de tenir une commission d'enquête sur la construction, ce qui a contribué à nourrir les pires soupçons. Mais cela s'explique beaucoup par l'effet cumulatif des révélations qui s'additionnent jour après jour.

Le portrait qu'elles permettent de tracer est très inquiétant, mais il propose une image déformée de la réalité, parce qu'on mélange tout, qu'on additionne des pommes et des oranges, que dis-je, des bleuets et des citrouilles, qu'on amalgame des éléments d'importance et de nature bien différentes. On a l'impression d'être devant une affaire si énorme qu'on ne sait plus par quel bout la prendre, et on rêve d'une commission d'enquête qui porterait sur la corruption en général, une aventure si vaste et si imprécise qu'elle serait vouée à l'échec.

Si on veut régler les problèmes, il faut faire exactement le contraire, ne pas tout amalgamer, ne pas partir dans toutes les directions, mais décomposer le dossier pour bien identifier les enjeux.

Depuis des mois, on a mis dans le même panier des infractions mineures à la loi électorale, comme dans le cas de l'ex-candidat à la mairie Jacques Duchesneau, et des événements extrêmement graves, comme la collusion d'entreprises de construction dans des contrats publics. On a confondu des faits et des allégations. On a également eu tendance à abuser du mot «corruption». Des infractions à la loi électorale ne sont pas des cas de corruption, les influences partisanes dans la nomination des juges non plus.

Si on se concentrait sur l'essentiel? Dans ce vaste dossier, le principal problème dont souffre le Québec, c'est son industrie de la construction, pourrie par la présence de la mafia et du crime organisé, de pratiques illégales de collusion, de violence et d'intimidation pour limiter la concurrence, de liens troublants entre le monde syndical et celui du crime. Voilà le grand problème et il ne date pas d'hier, il n'a pas été provoqué par les pratiques du financement politique.

L'autre enjeu, qui est une conséquence du premier, c'est que le monde municipal a été un maillon faible dont a profité l'industrie de la construction. Le bobo est dans les villes, pas à l'Assemblée nationale - un système de collusion mis à jour à Montréal, des maires trop proches de l'industrie, des fonctionnaires municipaux qui doivent quitter leurs fonctions.

C'est de cela qu'il faut s'occuper. Il faudra plus que des enquêtes policières, mais pas une commission d'enquête tous azimuts, pas un grand psychodrame collectif. Ce dont on a besoin, c'est d'un exercice pour analyser l'industrie, sa structure de coûts, repenser le régime syndical, imposer la concurrence. Si le premier ministre Charest l'avait compris, et s'il avait agi, il ne serait pas à 23% dans les sondages.