Hier, la France a été paralysée par un vaste mouvement de protestation contre une réforme des retraites lancée au printemps dernier par le président Sarkozy. Métros, écoles, trains, aéroports étaient perturbés. Entre 1,1 et 2,7 millions de Français ont défilé dans les rues.

C'est devenu un rituel. Les Français sont habitués à ces paralysies qu'ils tolèrent fort bien, d'autant plus qu'ils sont en général d'accord avec les participants. Ces pratiques laissent le reste du monde perplexe, pour devenir un trait culturel pittoresque qui remplace la baguette et le béret dans la liste des clichés.

Pourquoi en parler? Parce que la façon dont les pays industrialisés gèrent leur sortie de crise nous touche tous. Il n'y a rien de pittoresque aux rituels politiques français. Ils rendent le pays ingérable, l'empêchent de mettre en place les réformes dont il a besoin, et l'amènent à s'enfoncer tout doucement.

Cela ne nous laisse pas indifférents, parce que la France est un pays pour lequel les Québécois ont de l'affection. D'autant plus que, dans bien des débats, la France est un pays dont on veut s'inspirer. Il n'est pas mauvais d'illustrer en quoi ce pays malade ne peut plus servir de modèle.

Le mouvement de protestation porte sur une réforme des retraites qui consiste essentiellement à faire passer l'âge légal de la retraite de 60 ans à 62 ans d'ici 2017. Cette mesure s'inscrit dans les efforts de ce pays pour redresser ses finances. La France a été durement touchée par la crise. La récession a été plus forte qu'ici, la reprise plus lente, le chômage reste toujours au-dessus de 10%, le déficit monte en flèche.

Contrairement à d'autres pays européens, comme la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, les autorités françaises n'ont pas voulu s'attaquer à ce déficit de façon brutale, pour ne pas compromettre la reprise. Paradoxalement, la réforme des retraites s'inscrivait dans une logique gradualiste, moins brutale que des compressions ou des hausses d'impôt. Elle reposait aussi sur le fait que ce système de retraites précoces n'est pas viable avec une croissance moindre et un vieillissement démographique. Enfin, le prolongement de la vie et la transformation de la nature du travail peuvent justifier que l'on repense les retraites.

Mais la France s'est déchaînée en juin, et vient de reprendre le combat. Les syndicats se sont mobilisés, en invoquant la «pénibilité» du travail. Le Parti socialiste dénonce la réforme, au nom de la justice sociale. La première secrétaire du parti, Martine Aubry, promet de ramener la retraite à 60 ans si le PS prend le pouvoir. Mais derrière les principes, il y a le jeu politique, et le désir de profiter au maximum du fait que la popularité du président Sarkozy, déjà malmenée par toutes sortes de scandales, est encore plus amochée par cette réforme.

Il y a un élément du dossier qui semble absent du débat public français, et c'est le sens commun. La France vit sur une planète à part. Si l'âge légal est de 60 ans, dans les faits, la retraite s'y prend en moyenne à 58,7 ans. Le record de l'OCDE. Et pendant que les Français s'indignent parce qu'ils pourraient devoir travailler jusqu'à 62 ans, la plupart des pays du monde trouvent normal que la retraite se prenne à 65 ans. L'Allemagne et l'Espagne sont en train de passer de 65 à 67 ans.

Ce n'est pas la logique qui mobilise la France, ni la recherche de la justice sociale, mais la défense à tout prix des acquis, cette redoutable machine de résistance au changement. Un virus qui a rendu la France malade et contre lequel elle n'a toujours pas trouvé de vaccin.