Le débat provoqué par l'idée du gouvernement Harper d'abandonner le caractère obligatoire du questionnaire long lors du recensement n'est pas seulement une affaire mineure gonflée hors de proportion par des médias en manque de nouvelles au coeur de l'été.

Le débat provoqué par l'idée du gouvernement Harper d'abandonner le caractère obligatoire du questionnaire long lors du recensement n'est pas seulement une affaire mineure gonflée hors de proportion par des médias en manque de nouvelles au coeur de l'été.

Cette décision aura des conséquences, sur la crédibilité de Statistique Canada, un des fleurons de l'administration fédérale, et sur la qualité des données dont un pays a besoin pour être bien dirigé. Mais surtout, elle est un puissant révélateur de la véritable nature de ceux qui nous gouvernent. Il ne s'agit pas d'un simple accident de parcours, mais bien d'un choix délibéré, qui reflète les valeurs profondes du gouvernement conservateur, son idéologie et son parti-pris pour l'ignorance.

Qu'est-ce qui a poussé les conservateurs? D'abord un fond libertaire, que l'on retrouve chez les réformistes ou chez les républicains extrêmes, avec sa profonde méfiance de l'État, du «Big Brother» qui s'immisce dans la vie des citoyens. Dans ce cas-ci, ils n'acceptaient pas que l'on puisse imposer des amendes ou que l'on mette en prison des gens parce qu'ils refusent de répondre à des questions qu'ils trouvent trop intrusives. C'est légitime. Mais cette indignation est parfaitement théorique parce que jamais personne n'a été emprisonné pour ne pas avoir répondu au recensement. Elle est en outre incohérente parce qu'on peut raisonnablement supposer que cette menace disparaissait complètement avec un recensement administré par un gouvernement conservateur.

Au plan idéologique, le recensement était dans la mire des conservateurs parce que ses résultats fournissent des données pour étayer les demandes de toutes sortes de groupes de pression qui les agacent - autochtones, minorités linguistiques, groupes de lutte à la pauvreté. Réduire la portée du recensement, c'est les priver de munitions. Moins on en saura, moins on aura de problèmes. C'est le culte de l'ignorance.

Mais quelque chose d'encore plus inquiétant est ressorti des débats entourant cette histoire: un mépris du savoir et de la science qui nous fait entrer de plain-pied dans l'obscurantisme. On l'a vu à la façon dont le gouvernement a prétendu que le changement au recensement avait été proposé et approuvé par Statistique Canada, un mensonge qui a provoqué la démission du statisticien en chef. On l'a vu aux propos odieux du ministre Tony Clement à l'égard des chercheurs qui utilisent ces résultats, qu'il accuse d'avoir fait un «bon deal» dans le passé, comme si c'étaient des parasites. On l'a vu à la légèreté avec laquelle Ottawa a rejeté des arguments scientifiques sérieux selon lesquels la participation volontaire au questionnaire détaillé aurait un impact sur la qualité du recensement. Mais est-ce étonnant de la part d'un gouvernement dont le ministre de la Science est créationniste, un courant religieux qui est l'essence même du refus de la science?

Pour coiffer le tout, le choix conservateur reposait sur un populisme au premier degré, où le gouvernement dit prendre les décisions que le peuple veut. Un populisme primaire défendu avec vigueur dans ces pages par Maxime Bernier, qui n'hésite jamais à sortir de sa Beauce natale pour défendre l'indéfendable. La décision reflète les voeux de la majorité, dit-il, et non ceux des élites. Ce n'est pas un mépris du peuple que de croire que, dans des dossiers très techniques, les citoyens n'ont pas les connaissances requises pour que les décisions reposent uniquement sur leurs impressions.

Cet incident est ni plus ni moins une autre manifestation du fait qu'une grande noirceur est en train de s'installer à Ottawa. On ne peut que souhaiter que les dommages ne soient pas irréversibles. Et on ne peut que se demander ce qui se passerait si les conservateurs étaient majoritaires.