Les deux sommets qui se sont amorcés hier soir en Ontario seront-ils des grands crus, c'est-à-dire des rencontres internationales marquantes, dont on se souviendra longtemps ou dont les décisions influenceront pour longtemps le cours des choses?

Fort probablement pas. Et si je doute du succès potentiel de ces deux grands-messes -le G8 qui débutait hier soir et qui se poursuit aujourd'hui à Huntsville, et le G20, ce soir et demain dans le centre-ville de Toronto-, ce n'est pas parce que je crois que ce genre d'exercice est inutile. Mais plutôt parce que ce qui va définir ces deux rencontres, c'est leur caractère transitionnel: elles marquent une transition entre deux périodes macroéconomiques, entre deux ordres mondiaux. Elles risquent donc d'être entre deux chaises.

La première de ces transitions, c'est le déplacement du poids et du dynamisme de l'économie mondiale vers des économies émergentes. Ce nouvel ordre des choses se reflète par le passage de flambeau du G8 au G20. Les traditionnelles rencontres du G8, le club des pays industrialisés riches, ont perdu une partie de leur sens, parce qu'elles excluaient des pays dont la présence est devenue incontournable, comme la Chine ou le Brésil. D'où l'idée de Paul Martin, alors ministre des Finances, de créer ce nouveau forum.

L'émergence du G20 fait en sorte que nous assistons à certains égards au chant du cygne des G8, comme expression du pouvoir économique de la planète. Cela amène leurs leaders à mettre l'accent sur autre chose que les stratégies économiques, comme la sécurité, l'environnement, ou l'aide internationale. Par exemple, cette initiative du premier ministre Harper sur la santé maternelle qui a mal tourné.

Le problème, c'est que le G20 ne peut pas encore prendre vraiment le relais. Parce qu'il est très hétérogène, qu'il n'a pas le caractère de club tricoté serré qu'avait le G8. Parce que plusieurs de ces pays économiquement puissants ne peuvent pas ou ne veulent pas exercer de leadership international, à cause de leur insularité, comme la Chine, de leur immaturité politique, comme le Brésil, de leur développement encore trop inégal, comme l'Inde ou l'Indonésie.

Ce caractère transitionnel est renforcé par le fait que ce sommet du G20 n'en est pas vraiment un : c'est une étape entre les deux vrais sommets, celui de Pittsburgh, il y a six mois, et celui de Corée dans six mois. Et par le fait qu'au plan économique, nous sommes aussi entre deux périodes.

Un contexte d'après-crise, marqué par l'incertitude, où il faut asseoir l'économie mondiale sur des bases plus solides, mais où chaque pays est à un stade différent de sa sortie de crise.

Cela se voit dans la plupart des déclarations qui ont précédé ces sommets. Chaque chef d'État prêche pour sa propre paroisse, prône pour les autres ce qu'il estime être bon pour son propre pays, en songeant bien davantage à ses intérêts nationaux et à ses succès politiques intérieurs, qu'à des solutions pour la planète.

Le résultat est cacophonique. Le président Obama, dont le pays a du mal à sortir de la récession, veut que l'on continue à privilégier le soutien à la reprise. Stephen Harper, parce que le Canada est bel et bien sorti d'une récession qui l'a peu touché, essaie de convaincre ses homologues de l'imiter et de remettre leurs finances publiques en ordre. Les pays européens, ébranlés par la crise grecque, tentent de maintenir un difficile équilibre entre la rigueur financière et la fragilité de leur reprise. Et bien des pays émergents, comme la Chine, sont déjà passés à autre chose.