Nous avons un énorme déficit à éliminer. Ça, les gens le comprennent bien. Mais ils n'acceptent pas la façon dont le budget Bachand s'y prend. Ils n'aiment pas que l'État fouille autant dans leurs poches et ils ne croient pas que le gouvernement libéral réussira vraiment à contrôler ses dépenses.

Cette colère et cette méfiance ont donné naissance à un mouvement pour que le gouvernement fasse le ménage dans sa cour. Cet élan populiste a ses limites. Il mène à concentrer l'attention sur des questions mineures, comme les notes de frais, puissantes au plan symbolique, mais qui détournent l'attention des véritables enjeux. L'aboutissement de ce climat de chasse aux sorcières est sans doute l'indignation suscitée par les primes de performance versées aux cadres des sociétés d'État.

Cela force le gouvernement Charest, impopulaire et maladroit, à adopter un mode de gestion à la Opus Dei -bien sûr dans sa version caricaturale du Code da Vinci. On privilégie les gestes en apparence moraux, on choisit la mortification et l'autoflagellation au lieu de bien faire le travail. L'élimination des primes suggère une gestion serrée et dégage un parfum de belle rectitude. Mais pour éliminer le déficit, c'est une mesure assez stupide, qui risque surtout d'avoir l'effet contraire.

Une prime, ce n'est pas un cadeau. C'est plutôt une récompense. On verse une prime à un employé s'il atteint certains objectifs. Par exemple, en Ontario, le premier ministre McGuinty veut lier les primes des directeurs d'hôpitaux à des critères du bien-être des patients. Dans bien des cas, les primes peuvent représenter une proportion élevée de la rémunération totale. Le principe de la rémunération variable est très répandu dans le privé, parce que ça marche, que ça encourage la performance.

Pourquoi l'éliminer dans le public? C'est le résultat d'un enchaînement d'événements. Le budget Bachand élimine les primes de 10% des sous-ministres ainsi que celles des cadres des sociétés d'État non commerciales. Le fait que les sociétés d'État commerciales aient été épargnées a provoqué un débat dont s'est emparée l'opposition péquiste, qui prône leur élimination là aussi, probablement sans y croire. Le gouvernement libéral, fragile, s'est retrouvé sur la défensive.

Il faut dire que les primes passent mal. En bonne partie parce qu'on mélange des choses. On pense aux primes indécentes des institutions financières, qui ne sont pas de même nature. On est choqués aussi par le revenu des dirigeants de sociétés d'État: 421000 $ pour le pdg d'Hydro, 300000 $ pour celui de Loto-Québec. Enfin, on comprend mal le mécanisme de la rémunération variable : les primes ne s'ajoutent pas au salaire, ils en constituent une partie, conditionnelle, dont les conditions d'obtention sont définies à l'avance.

La rémunération des cadres de ces sociétés d'État est largement déterminée par ce qui se paie dans le privé, pour pouvoir attirer des gens compétents et les garder. À revenu donné, mieux vaut qu'une partie du salaire soit variable, sous forme de primes, pour inciter au dépassement. Ce dont il faut s'assurer, c'est que la rémunération totale soit raisonnable et que les primes soient méritées, en fonction de l'atteinte d'objectifs précis. Mais ça devient un débat de spécialistes qui ne se prête pas aux envolées verbales de l'Assemblée nationale.

Cela nous donne de jolis paradoxes. D'abord, ce débat mène à traiter les cadres de sociétés d'État comme des fonctionnaires. Avec les effets que l'on peut deviner. Et surtout, l'élimination des primes, avec son impact sur le recrutement et la performance, risque de contribuer à une réduction des profits des sociétés d'État. La conséquence? Moins de dividendes pour le gouvernement et moins d'argent pour éponger le déficit. C'est ce qu'on appelle avancer en arrière.