Le principal défi des finances publiques québécoises, ce n'est pas de surmonter les effets de la récession. C'est plutôt de faire face aux pressions exercées par les dépenses de santé. Le budget de Raymond Bachand n'a pas réglé ce problème. Il n'a fait que gagner du temps.

Le problème est clair. Les dépenses de santé augmentent naturellement à quelque chose comme 6% par année. L'économie croît de 3,5%. Ces dépenses absorbent donc une part croissante de la richesse collective. La place qu'elles occupent dans les dépenses publiques augmente aussi de façon exponentielle: 35% il y a 20 ans, 40% il y a 10 ans, 45% maintenant. Et ce n'est pas fini, avec les pressions de la démographie et de la technologie.

 

Cette croissance est insoutenable. Elle est également insuffisante! Car on voit bien à quel point ces hausses, même substantielles, ne parviennent pas à financer adéquatement un système financier qui craque de partout.

Que fait le budget Bachand? Il annonce, on le sait, deux taxes impopulaires: une contribution santé maintenant, et une franchise dans trois ans. Ces revenus additionnels permettront de maintenir à 5% la croissance annuelle des dépenses de santé. On évite ainsi que la santé fasse les frais des efforts de réduction du déficit et on réduit du même coup la pression sur les autres missions du gouvernement.

Mais le problème de fond reste entier. À 5%, la croissance des dépenses reste forte. Et elle ne suffira pas plus qu'avant. Le ministre des Finances en est manifestement conscient, puisqu'il a consacré un document à part sur la santé lors du dépôt du budget, où l'on parle de «l'heure des choix» et où l'on dit qu'«un statu quo est impossible». Le vrai travail, le plus difficile, est là.

Il ne s'agit pas de couper. Plutôt de gérer différemment le système de santé, d'augmenter sa performance, pour améliorer les services, en quantité et en qualité. Changer un système comme celui-là est une tâche colossale, à cause de sa taille, de sa complexité, de son inertie, des résistances corporatistes, du caractère émotif de tout changement dans un univers qui traite avec la maladie et la mort. Est-ce que les libéraux réussiront là où tous les gouvernements ont échoué?

Ce n'est pas le document budgétaire qui nous rassurera. Il évoque des pistes qui vont dans la bonne direction: optimisation des processus de travail dans les établissements, en s'inspirant du «Lean Healthcare» britannique, meilleure gouvernance et structures plus efficaces, utilisation des technologies de l'information. Mais le tout est si vague qu'il est évident que nous sommes encore au stade des bonnes intentions.

La prudence du ton suggère que le gouvernement Charest n'est pas vraiment prêt à passer à l'action. Le fait que cette réflexion sur la santé soit amorcée par le ministre des Finances peut entre autres indiquer qu'il y a encore des tiraillements au sein de l'appareil. Nous n'avons pas beaucoup entendu le principal intéressé, le ministre de la Santé Yves Bolduc, promettre des réformes ambitieuses.

Je pars du principe qu'on ne changera pas les choses si on ne peut pas les nommer, qu'on ne réglera pas des problèmes qu'on n'ose pas identifier. Peut-on parler de structures sans poser le problème de la double administration, le ministère et les agences régionales? Peut-on parler des technologies d'information sans évoquer le fiasco actuel, la tragi-comédie du dossier médical électronique? Peut-on promettre la performance sans parler de concurrence, que ce soit celle du secteur privé ou celle que permettrait un financement des institutions plus dynamique.

Ces énormes défis en santé nous rappellent que, même si le budget déposé la semaine dernière était courageux, le travail ne fait que commencer.