L'ancien premier ministre Lucien Bouchard a commis cette semaine un crime de lèse-politique. Il a eu le malheur d'énoncer une évidence et de dire les choses telles qu'elles sont, à savoir que la souveraineté n'est pas réalisable, un constat auquel en sont arrivés une majorité de Québécois.

Ses propos ont semé l'émoi dans les rangs souverainistes. Les leaders du mouvement ont vertement dénoncé les propos de leur ancien chef. Bernard Landry l'a accusé de dérailler. Parce que M. Bouchard refuse de jouer le jeu et de maintenir la fiction voulant que les souverainistes, inexorablement, s'approchent de leur but. Nous savons tous que Mme Marois, si elle prenait le pouvoir, serait absolument incapable de tenir un référendum.

 

Je serais évidemment mal placé pour critiquer les propos de M. Bouchard. J'ai publié, il y a deux ans, un essai sur la question, intitulé «À mes amis souverainistes», dont le point de départ était l'impossibilité d'une victoire de la souveraineté. J'essayais de convaincre les souverainistes - sans grand succès, il faut le dire - de mettre leurs considérables talents au service d'autres causes susceptibles de faire progresser le Québec. En toute logique, ce même message devrait avoir bien plus de chances d'être entendu s'il provient de leur ancien chef.

Mais ce n'est hélas pas comme cela que ça fonctionne au PQ. Ce grand parti, populaire, bien enraciné, capable de diriger le Québec, se comporte comme une secte quand il s'agit de son option. Cela mène au mécanisme de négation qui explique l'émoi provoqué par les propos de M. Bouchard.

Cela mène aussi le parti à rejeter ceux qui sortent du rang. Six ministres, dont Jacques Parizeau, ont démissionné de leur poste et abandonné René Lévesque lorsqu'il n'a pas voulu faire porter les élections de 1984 sur la souveraineté. Pierre Marc Johnson, trop mou, a été rejeté. Et Lucien Bouchard, dont se méfiaient les militants, vient cette semaine de confirmer leurs soupçons. Le fait que trois des six chefs de ce parti aient exprimé, chacun à leur façon, des doutes sur l'option, aurait dû, en soi, amener les militants à un examen de conscience.

Les fédéralistes ou les souverainistes fatigués pourraient être tentés d'être indifférents au fait que les souverainistes perdent leurs temps à faire semblant. Mais ce combat pour une cause perdue comporte des coûts pour le Québec dans son ensemble.

Le premier, c'est que ce débat divertit une partie de nos énergies collectives, et nous empêche de nous attaquer avec la détermination nécessaire aux défis les plus pressants qui confrontent la société québécoise, et surtout ses retards économiques persistants. C'est une préoccupation que l'on retrouvait dans le manifeste des lucides.

L'autre conséquence, peut-être plus inquiétante, que j'ai décrite en détail dans mon essai, c'est que le fait que le cause soit perdue amène le mouvement souverainiste dans une dynamique qui cesse d'en faire une force de progrès. Entre autres, parce qu'on est incapables de vendre la souveraineté, et encore moins de la réaliser, la tentation est forte de se rabattre sur ce qui peut encore mobiliser, notamment les peurs linguistiques et identitaires.

C'est très exactement ce qui est en train d'arriver, ce que M. Bouchard appelle la radicalisation du PQ. J'ai souligné dans je ne sais combien de chroniques le fait que le parti, sous la direction de Pauline Marois, a repris la bataille qui avait fait le succès de l'ADQ, s'indigne contre les accommodements, même raisonnables, monte en épingle des incidents mineurs, exacerbe les tensions, joue sur un terrain qui, dans d'autres pays, est associé à la droite sociale. Est-ce bien là le parti de René Lévesque?